Le Mobile Banking en Afrique : une source d’inspiration pour les marchés européens ?
En novembre 2010, le Financial Access Initiative – Consortium de chercheurs de l’Université de New York, Harvard, Yale et Innovation for Poverty Action – publie une étude selon laquelle la moitié de la population mondiale n’est pas bancarisée, soit 2,5 milliards d’adultes. Ne possédant pas de compte bancaire, ils ne bénéficient pas non plus des moyens de paiement associés. Qui sont ces adultes ? Ils habitent essentiellement en Amérique Latine, en Asie, aux Moyen Orient et en Afrique Subsaharienne. Privés d’accès à des services financiers de base (virement, débit, épargne…), ils ont aussi un accès limité à des services tel que l’énergie et la télécommunication ou à la possibilité de constituer un capital.
Cette situation d’exclusion bancaire est dans bien des cas un facteur de ralentissement de la dynamique économique d’une région. Diverses études de la Banque Mondiale le montrent, « un meilleur accès au système financier peut favoriser la création d’emplois, renforcer l’investissement et permettre aux populations les plus pauvres d’absorber les chocs financiers ». Pour y pallier des solutions ont été développées non seulement par des banques mais surtout par des opérateurs de télécom, comme c’est le cas en Afrique. Les populations n’ont pas de compte bancaire, mais la grande majorité possède un téléphone portable ? Pas de problème, « here comes mobile banking » ! Pas besoin de smartphone, un simple portable suffit.
Le téléphone portable, canal d’accès aux services bancaires
Les solutions de mobile banking offrent la possibilité de réaliser des opérations bancaires courantes sur portable : tout client abonné à un réseau de téléphonie mobile dispose d’un e-compte lié à sa carte SIM. Via ce compte il peut effectuer des transactions (un simple échange de SMS permet de payer en magasin, sur le marché ou de régler des factures d’eau et d’électricité, voir les impôts) et même épargner si son compte est créditeur. Il peut alimenter son compte en déposant du liquide via un point de vente agréé ou demander à percevoir son salaire sur son compte de téléphonie mobile.
Le mobile banking en Afrique : un succès non démenti, malgré des obstacles réglementaires limitant son développement
Si les opérateurs de télécom sont majoritairement à l’origine des solutions de Mobile Banking, les banques sont elles aussi présentes sur ce marché à fort potentiel et comptent bien s’imposer : d’après Ecobank, les revenus tirés du mobile banking dans les pays situés entre le Sahara et l’Afrique du Sud devraient passer de 657 millions de dollars à 3,53 milliards en 2017.
Deux modèles principaux émergent aujourd’hui en Afrique :
- Le modèle NON BANK BASED (NBB) où toute entreprise, en général un opérateur télécom, peut fournir directement des services bancaires sans passer par une banque (modèle adopté aujourd’hui au Kenya)
- Le modèle BANK BASED (BB) où une licence bancaire est nécessaire pour avoir l’autorisation de fournir des services bancaires : les banques proposent des services de mobile banking après avoir passées des accords avec des opérateurs de télécom, qui ne peuvent pas pénétrer directement sur le marché (modèle adopté au Nigéria). Plus adapté aux marchés déjà bancarisés, ce modèle est aussi plus coûteux ce qui diminue l’accessibilité des services proposés. D’après un rapport du Groupe Consultatif d’Assistance aux plus Pauvres (CGAP), les services offerts par les acteurs télécom sont en moyenne 19% moins chers que ceux fournis par les banques dites traditionnelles.
Le contexte réglementaire est le facteur principal d’émergence d’un modèle plutôt qu’un autre. Selon l’Union Internationale des Télécoms (ITU), les organes de régulation de l’activité bancaire doivent veiller à ne pas établir une régulation trop stricte défavorisant certains organismes au profit d’autres, comme c’est le cas en Afrique centrale où seuls les établissements bancaires se voient attribuer des licences. Par ailleurs, du fait d’un manque d’appui institutionnel des zones de marginalisation existent là où opérateurs et banques ont un intérêt moindre à investir.
Le succès du mobile banking en Afrique n’en reste pas moins indéniable : simplicité, accessibilité et faible coût des services ont fait leur effet. En 2013 M –Pesa lancé par Safaricom (filiale de Vodafone) avait 16 millions d’utilisateurs actifs au Keyna (soit 90% des adultes) pour 1,2 milliards de dollars de transactions par mois; Orange Money en avait 12 millions répartis dans une dizaine de pays en Afrique de l’Ouest tandis que MTN comptait 22 millions d’utilisateurs dans 16 pays. Et nombre de pays restent à conquérir que soit la Côte d’ivoire ou l’Égypte avec des taux de bancarisation à 10%.
Un exemple pour l’Europe ?
Le succès du mobile banking en Afrique pourrait-il inspirer voir préjuger de son expansion en Europe et en France ? Rien n’est moins sûr. Sur le continent Africain, la faible bancarisation associée à l’essor du mobile ont créé un puissant effet de levier, tandis qu’en Europe le marché est mature et la population largement bancarisée. L’offre bancaire est plus dense et plus qualitative, les réseaux bancaires étendus, ne donnant pas aux opérateurs les mêmes opportunités de se substituer aux banques. Ils ont donc commencé par s’adresser au 8% de la population de l’OCDE qui n’est pas bancarisé : Vodafone a lancé son application de mobile banking M-Pesa en Roumanie et pourrait envisager de se développer dans d’autres pays de l’Europe de l’est comme l’Albanie ou la Pologne.
Les banques françaises sont-elles donc tranquilles ? Certainement pas, car l’objectif des opérateurs et en particulier d’Orange n’est pas de se limiter aux populations non bancarisées. Ainsi en 2014 Orange s’est associé à Visa pour lancer en France dans un nombre limité de villes (Lilles, Nice, Rennes…) « Orange cash », application de paiement mobile pour régler ses achats chez les commerçants ou sur internet. Et il ne compte probablement pas s’arrêter en si bon chemin ; Stéphane Richard – PDG d’Orange – déclarait en 2013 « On estime que d’ici 2020 un paiement sur deux en Europe impliquera le mobile et 40% des mobiles vendus par Orange en France sont d’ores et déjà compatibles NFC ». D’ ailleurs il y a moins d’un mois Orange annonçait le lancement d’une banque en France en partenariat avec un acteur du secteur d’ici 2016.
Les opérateurs peuvent-ils convaincre les français ? Très attachés à la sécurité, ces derniers considèrent la fiabilité du paiement comme clés. Les opérateurs se positionnent sur le NFC, car ils ont une certaine légitimité étant fournisseurs de la carte SIM porteuse de la technologie NFC permettent de payer en magasin. Reste à convaincre de la sécurité du paiement sans contact et par mobile. Et surtout les opérateurs doivent offrir une proposition de valeur différenciante pour s’imposer sur le marché : le paiement mobile doit répondre aux usages comme c’est le cas en Afrique. S’il n’apporte rien de plus que le paiement par carte, il a peu d’intérêt. « Gestion centralisée des cartes de fidélité, titre de transport, lecture d’information sur un produit en magasin… ». Tout reste à inventer.