Développement des robots conseillers aux USA : un avenir en France ?
Ces dernières années les États-Unis ont vu l’émergence de nouvelles banques en ligne spécialisées dans la gestion d’actifs dont les conseillers sont des … robots ! Le principe est simple : le site internet propose aux particuliers l’allocation d’actifs la plus adaptée à leur profil, en incluant notamment le niveau de risque souhaité, grâce à un algorithme basé sur des statistiques et développé par des experts IT et financiers. Leur mot d’ordre est accrocheur : ils mettent à disposition du plus grand nombre des algorithmes équivalents à ceux utilisés en salles des marchés. Le succès de ces Fintech américaines, entreprises alliant Finance et Technologie, est clair : 3,5 milliards de dollars d’actifs sont déjà gérés par les deux leaders du secteur. La croissance de ces sociétés est forte et leur marge de progression reste conséquente, la taille de ce marché étant estimée à plus de 500 milliards de dollars outre-Atlantique par le bureau d’analyses RBC Capital Markets. Mais ce modèle peut-il s’exporter en France ?
La génération Y, cible privilégiée des robots conseillers
Les robo-advisers visent principalement la génération Y, ces hommes et femmes nés dans les années 80, très digitalisés et actifs sur internet. Ayant grandi avec les nouvelles technologies, ils ont toujours été précurseurs et bien moins réticents que leurs ainés quant à leur utilisation comme source d’information et de consommation. Internet est pour eux un canal de consommation privilégié, notamment car il jouit d’une image de « casseur des prix ».
Cette génération a l’habitude d’être très bien ciblée sur internet depuis quelques années, avec des besoins et des attentes qualifiés, grâce à des algorithmes poussés tels qu’ils ont été développés par des entreprises comme Criteo ou Facebook. Elle est à la recherche d’offres et de produits toujours plus personnalisés et ce à moindre coût, ce qui correspond fortement à l’offre développée par les robo-advisers. Ses membres ne se focalisent plus essentiellement sur le produit ou la marque, mais de plus en plus sur l’usage et son prix : sites de streaming type Spotify, économie du partage via UBERpool, locations de maisons entre particuliers avec Airbnb… Cette génération bouleverse donc complètement tous les secteurs d’activité qui peuvent voir en elle aussi bien une menace qu’une véritable opportunité de se transformer et de se développer.
Le secteur bancaire est d’autant plus confronté à ce bouleversement que cette génération Y est la dernière à arriver sur le marché de l’emploi… et donc de l’épargne et du crédit ! À une époque où les clients peuvent tout comparer et partir à la concurrence en un clic, les banques auraient tort de ne pas tout faire pour les attirer.
Une innovation risquée
Cependant, les robo-advisers, innovation majeure pour le secteur bancaire, arrivent à un moment critique pour leur génération cible. En France, la génération Y a subi, et subit encore, de plein fouet la crise des subprimes de 2008 et la crise économique qui en a découlé : embauche en CDI plus difficile, premier salaire revu à la baisse par rapport aux générations précédentes… Cette crise vient renforcer une certaine méfiance existant vis-à-vis du secteur financier. Les grands scandales dont cette génération a été témoin n’améliorent pas l’image qu’elle a des grandes institutions financières (affaire Madoff, Kerviel, Clearstream…). Or, pour le client, les robo-advisers ne sont en fait qu’une interface à qui confier son épargne. L’effet « boite noire » – je confie mon argent sans avoir de visibilité sur qui se passe – qui peut en découler pourrait avoir un effet contre-productif dans un contexte compliqué et attiser la défiance vis-à-vis des banques.
De plus, les marchés américains et français restent très différents. Aux États-Unis, une grande partie de la population vit à crédit, des crédits contractés dès les études. En France, l’épargne est privilégiée depuis des décennies. Pour l’instant, la génération Y n’a rien changé, comme en témoigne la stabilité de l’âge moyen d’obtention des premiers crédits immobiliers (premier crédit en termes de durée et de budget pour les foyers français). Le choix de l’épargne, et de l’institution à laquelle elle est confiée, a donc une certaine importance. Preuve en est, le livret A reste le placement préféré des Français malgré ses rendements extrêmement faibles. Si les Français ont plus de mal que les Américains à diversifier leurs placements par l’intermédiaire d’un conseiller « traditionnel », seront-ils prêts à le faire grâce à ces robo-advisers ?
Difficile de l’affirmer … D’autant plus qu’un point important peut remettre en cause ce nouveau modèle : une offre limitée. Si ces robots proposent une formule sur-mesure à chaque client à partir de produits financiers connus, ils n’ont pas aujourd’hui la possibilité de gérer des problèmes financiers complexes tels que la planification successorale ou des investissements dans de grands projets. À partir d’un certain montant à investir, ils ne peuvent donc pas remplacer complètement des conseillers.
Un modèle à adapter
Malgré ces difficultés, l’idée de robo-advisers en France ne devrait pas être abandonnée pour autant.
Tout d’abord, le manque de confiance dont pâtissent les établissements bancaires pourrait éventuellement être compensé par l’image positive et dynamique dont bénéficie le secteur des nouvelles technologies et le monde des starts up. Quant à l’effet « boite noire », il existe des moyens de le limiter. Les premiers robo-advisers français l’ont bien compris et jouent la carte du « client décideur ». Ils informent leurs clients sur l’état de leurs actifs et leurs recommandent d’éventuelles modifications quant à leurs placements en fonction du niveau de risque souhaité et des nouvelles probabilités de gains calculées. Charge au client de faire évoluer son « panier » en conséquence, ou non, car il reste maître de son épargne.
Cependant, rendre ces robo advisers moins « automatiques » ne signifiera pas que les Français abandonneront leurs livrets A pour se ruer sur cette offre. Ils doivent encore être améliorés et leur concept peut évoluer vers un schéma hybride incluant des conseillers financiers pour quelques clients spécifiques. Leurs possibilités d’évolution sont nombreuses, en France comme aux États-Unis.
Finalement, l’idée à retenir est simple : ces robo-advisers ont le mérite d’agiter le monde de l’épargne. Peu importe les changements qui s’opéreront : le processus d’innovation est lancé, attendons donc de voir ce que les acteurs du marché nous réservent.