La finance islamique : quels leviers de croissance ?
En novembre dernier se tenait à Dubaï la 11ème édition du Forum Islamique Économique Mondial (WIEF), un événement qui a réuni des acteurs de la finance islamique de plus en plus nombreux. Ce type de manifestation témoigne de la montée en puissance du secteur, comme précisé dans le précédent article Bank Observer sur le sujet. Il y a quelques mois, la première agence bancaire respectant les préceptes de la finance islamique a ouvert ses portes à Chelles : quels sont les leviers de croissance de cette industrie qui se développe aujourd’hui en France ?
Une offre encore limitée
La population française de culture islamique a aujourd’hui accès à une gamme de services financiers conforme à ses principes religieux. Le marché se structure, et des acteurs émergent : Noorassur est par exemple le premier réseau de France à déployer des points de vente physiques qui proposent des services d’épargne et d’assurance islamique.
Cependant, l’offre française reste faible en comparaison avec celle de ses voisins européens : la filiale française du marocain Chaabi Bank est la seule à proposer en France une palette complète de services associés à la finance islamique (solutions de financement immobilier, conventions de compte de dépôt, etc.). Concernant l’assurance, seules des solutions takaful-famille – qui se matérialisent par des contrats d’assurance-vie – sont commercialisées. La plupart des contrats d’assurance « classiques », comme la garantie-dommages, par exemple, ne sont pas encore disponibles sur le marché français. Aujourd’hui, Londres et Dublin sont les deux principales places financières occidentales en termes d’activités islamiques de marché, tandis que le Luxembourg est privilégié pour la gestion d’actifs islamiques et la Suisse pour la banque islamique privée. Les grands groupes bancaires français, pourtant bien enracinés sur les marchés internationaux, ne contrôlent qu’une part négligeable de cette industrie : globalement, les banques possédant des avoirs islamiques sont situées à 60% dans le Golfe persique, à 20% en Asie du Sud et à 20% dans le reste du monde.
Dans le contexte français, il n’y a jusqu’à présent pas eu de véritable ambition ou stratégie « top-down » des autorités publiques, même si le passage de Christine Lagarde à Bercy a préparé le terrain fiscal pour la mise en circulation de produits compatibles avec la charia. Si l’émergence des banques islamiques est donc autorisée, un certain nombre d’actions restent à mener pour favoriser son développement. Les diasporas, à l’instar de celles des pays du Maghreb, ont des besoins spécifiques, et des profils patrimoniaux différents. Cela a engendré une multi-bancarisation de cette clientèle atypique, qui génère des flux de transferts d’épargne vers les pays du Maghreb de 5 à 10 milliards d’euros par an. De même, le développement de concurrents sur les moyens de paiement de type Fedex et Western Union, sont des conséquences de cette faiblesse de l’offre.
La nécessité d’optimiser la relation client
Les populations de culture islamique sont particulièrement exigeantes concernant la qualité des services financiers auxquels elles souscrivent. Récemment, EY a analysé les appréciations sur les médias sociaux de plus de 2,2 millions de clients au sujet de leurs expériences avec les banques islamiques en Arabie Saoudite, Bahreïn, Koweït, Émirats Arabes Unis, Malaisie, Indonésie, Turquie, Qatar et Oman. Dans ces pays, où les banques islamiques connaissent une forte croissance de leurs activités et représentent entre 28% et 49% de parts de marché, les résultats ont cependant démontré une satisfaction client médiocre. Pourtant selon EY, les perspectives de croissance demeurent substantielles, du fait des mutations économiques et sociopolitiques que connaissent ces différents pays : le profit global consolidé des banques islamiques devrait tripler d’ici 2019.
Les services bancaires numériques constituent le futur des banques islamiques. Comme le précise l’étude Solucom-Opinionway, en France près de 40% des clients bancaires jugent que les banques ne sont pas à la pointe de la technologie. Côté finance islamique, la moitié des acteurs du marché ne disposent pas d’un compte Twitter, et une seule banque sur dix-huit interagit totalement avec ses clients sur les médias sociaux. À l’image des banques françaises, la marge de progrès en termes de digitalisation des services associés aux banques islamiques est donc considérable
La France : un marché à potentiel
L’expertise des banques françaises couplée à la taille du marché hexagonal confère un intérêt particulier à cette industrie en devenir. Alors que des opérateurs étrangers pénètrent le marché en proposant des produits labélisés charia-compatibles, le cadre législatif est un levier majeur du développement de la finance islamique en France (adoption de nouvelles lois, engagement de l’État ou des autorités publiques via des émissions souveraines de sukuk, inclusion de la branche taul dans la branche de l’assurance mutualiste classique, etc.).
Ainsi, cette démarche doit pouvoir convaincre l’ensemble des acteurs institutionnels de la réserve de croissance considérable qu’offre ce segment et encourager les investissements.