MIFID 2 et transparence des marchés : vers une rupture technologique ?
Le fonctionnement des marchés financiers n’a cessé ces vingt dernières années d’aller vers plus de technologies même si certains, notamment aux Etats-Unis, fonctionnent encore à la criée comme au bon vieux temps de notre corbeille parisienne !
Et si la régulation financière permettait de tourner définitivement une page technologique ?
Rôle de la régulation financière
La voie de la désintermédiation financière qui consiste à faire financer de plus en plus de projets quel que soit leur nature et leur forme par les marchés est résolument enclenchée en Europe et le modèle anglo-saxon de financement semble peu à peu s’imposer : financement par les marchés financiers en lieu et place de l’intermédiation bancaire traditionnelle.
L’entrée en application de la régulation Capital Requirement Directive IV (CRD IV) ou « paquet Bâle 3 » pousse les grandes institutions financières eu Europe vers d’avantage de services rendus et vendus aux clients pour accéder aux marchés financiers au lieu de porter dans leurs bilans les risques pondérés liés aux financements accordés.
Le rôle croissant des marchés financiers et les conséquences de leurs perturbations ont amené le G20 en 2009 à prendre une série de mesures visant à instaurer de nombreuses exigences notamment en termes de transparence.
Pourquoi reporter MIFID 2 à janvier 2018 ?
MIFID 2 un vrai défi technique et technologique
Une régulation européenne pose la transparence comme objectif principal c’est la régulation européenne sur les marchés d’instruments financiers : MIFID 2.
Composée d’une Directive Européenne : MIFID qui donnera lieu à des transpositions nationales avant d’être appliquée et d’un règlement : MIFIR qui sera d’application immédiate (sans transposition nationale).
Le règlement MIFIR traite spécifiquement de la transparence des marchés financiers et va considérablement modifier leur structure et leur organisation. Ces impacts sont sans nul doute vecteurs d’accélération technologique voire même de rupture.
Les bouleversements engendrés s’expliquent notamment par :
- Le périmètre des produits concernés et donc les différentes typologies de marchés impactés,
- Le type d’informations à divulguer qui oblige à mettre en place de nouvelles infrastructures et qui fait exploser la quantité de données nécessaires et donc la manière de les traiter, de les analyser et de les communiquer.
Les régulateurs appelaient d’eux-mêmes à reporter la mise en application de MIF 2 tout simplement car c’est tout l’écosystème des marchés financiers européens qui va se trouver modifié avec une masse de données considérable qui doit être collectée par les régulateurs nationaux et par le régulateur européen des marchés financiers (ESMA) afin d’effectuer des calculs de liquidité des différents marchés, et ce, en amont de la mise en application de ces textes.
Une fois ces données collectées, les infrastructures devront être adaptées et les acteurs devront mettre en place de nouveaux processus d’échanges, d’entrée en relation, de reporting … et surtout, choisir des fournisseurs offrant ces possibilités.
Enfin, pour mettre en place de manière opérationnelle ces évolutions, les acteurs ont besoin de précisions techniques, qui seront contenues dans les textes définitifs attendus dans le courant de l’année 2016.
La commission européenne, via Jonathan Hill, commissaire européen aux Services financiers, a d’ailleurs demandé le 17 mars à l’ESMA de revoir sa copie sur trois points clés de la réglementation :
- Taille des positions qu’un intervenant peut détenir sur les marchés de matières premières,
- Transparence du marché obligataire,
- Types de transactions sur matières premières qui n’entreront pas dans le champ de la directive.
Du côté des fournisseurs de technologie, les tests commencent afin de pouvoir déployer des offres commerciales rapidement.
Quels sont les enjeux ?
Les principaux enjeux sont d’ordre organisationnel, structurel mais aussi technique et technologique. Compte tenu de l’ampleur du périmètre couvert par MIF 2 et de l’interconnexion des marchés financiers (les marchés financiers sont mondiaux et prennent de plus en plus de place dans le financement de l’économie), le caractère stratégique apparaît également comme évident.
Quels sont les impacts ?
- Tout d’abord sur le périmètre des instruments financiers et des marchés concernés :
Si la directive originale, MIFID mise en place en 2007 ne concernait que le marché des actions, MIFID 2 s’étend :
- Aux obligations et produits « non equity »,
- Aux instruments dérivés au sens large (y compris de matières premières),
- Aux matières premières,
- Aux produits structurés
- Mais également sur la manière de « traiter » les opérations avec une obligation de transparence concernant les activités de négociation en obligeant les acteurs à communiquer plus d’informations et la mise en place de contrôles plus stricts.
Au niveau de la transaction par exemple : il ne s’agit plus « seulement » de fournir au client le meilleur résultat possible (Best Execution dans MIFID) mais MIFID 2 l’étend désormais :
- Au prix,
- Au coût de la transaction total,
- A la rapidité de la transaction, représentée par le temps entre la réception de la plateforme d’exécution de l’ordre à exécuter et son exécution effective,
- A la probabilité qu’une transaction soit réalisée selon les paramètres contenus dans l’ordre du client.
Une fois la transaction réalisée, un rapport sur la qualité d’exécution dans lequel les ordres devront être groupés :
- Par instrument financier,
- Par plateforme d’exécution,
- Par type d’ordre.
Ce rapport devra également inclure les raisons ayant incité l’établissement à réaliser l’exécution de l’ordre sur une plateforme donnée.
Pourquoi ?
Les régulateurs poussent pour que le maximum d’instruments financiers (et ce, quel que soit la classe d’actifs) se négocient sur des marchés officiels et reconnus. La compensation centrale des produits dérivés avec la régulation EMIR était la première pierre à l’édifice.
Qui est impacté ?
Tous les acteurs de la chaîne : intermédiaires bien sûr (comme les brokers/dealers) mais aussi les banques d’investissement, les asset managers, les distributeurs de fonds, les conseillers en placement et les investisseurs.
Au niveau des modèles économiques, si on prend le cas d’un broker/dealer, les impacts sont structurants. En effet, jusqu’à présent, si de manière opérationnelle, l’activité d’intermédiation et celle de la recherche était clairement ségréguées afin d’éviter de possible conflits d’intérêts évidents, leur coût et la manière de les rémunérer l’étaient moins.
Séparer clairement les frais de recherche des frais d’exécution et en afficher le coût de manière transparente va participer au développement de nouveaux modèles de distribution en matière de recherche financière avec un modèle de plateforme qui émerge (type plateforme RSRCHchange). Il s’agit d’un marché en ligne lancé en septembre 2015 qui propose des rapports d’analyse disponible « on line ».
C’est donc une nouvelle manière de commercialiser de la donnée et de l’analyse et d’adresser le marché de l’information financière.
Les impacts ne se bornent donc pas seulement à des adaptations de processus et de reporting à mettre en place mais vont véritablement bouleverser la stratégie des acteurs parties prenantes de l’écosystème.
Du côté des institutions financières, les transactions une fois effectuées (transparence Post Trade dans MIFIR) devront mettre à disposition du public des informations qui devront notamment inclure des mentions permettant d’identifier le client concerné et les personnes responsables de la transaction.
Comment communiquer les données Post-Trade ?
Des banques qui changent de modèle ou des acteurs alternatifs qui pourraient venir remplacer les banques ?
Les initiatives en cours pour se préparer
Les établissements financiers doivent réagir à ces bouleversements et se réunissent pour s’adapter mais aussi pour mutualiser les investissements et coûts induits.
Elles l’ont en réalité déjà fait lors de l’entrée en application de MIFID en 2007 pour la création de plateformes de négociation qui ont eu pour conséquence le développement de places de marché peu transparentes surnommées « Dark Pool » que MIF 2 a pour objectif d’abolir.
Aujourd’hui, quarante des plus grandes banques dans le monde, testent sur le marché obligataire via la société R3 CEV (fintech spécialisée dans l’utilisation du blockchain sur les marchés financiers – voir notre article sur le sujet) un nouveau système de transaction qui s’apparente à la technologie utilisée pour le Bitcoin mais qui doit être adaptée aux marchés financiers.
A ce stade, cinq fournisseurs de technologies, dont IBM et Intel, ont été évalués. (Source Agefi)
L’objectif : réduire les intermédiaires et donc les coûts et améliorer la transparence des transactions.
Le cas de Goldman Sachs
La banque américaine est considérée comme un poids lourd dans le domaine des technologies financières. Elle participe activement au consortium R3 (avec notamment HSBC, Citigroup, BNP Paribas) pour développer l’architecture dite « de livres de comptes distribués » qui apparaît plus souple que la Blockchain et notamment plus adapté à la finance en termes de temps de traitement.
Quid pour la suite ?
Est-ce l’avènement d’un nouveau type d’acteurs sur les marchés financiers ou bien la fin d’un cycle et le début d’un autre avec une rupture technologique à opérer pour les acteurs qui veulent rester compétitif.
Il semble, à la vue de la complexité des régulations financières mises en place, ou en cours de mise en place, qu’il ne s’agit pas « seulement » d’une digitalisation des processus existants mais plutôt l’intégration d’une rupture technologique modifiant l’écosystème et impactant le positionnement, donc la stratégie des acteurs qui le compose.
Les projets tels que MIF 2 ne sont donc plus « seulement » des projets de mise en conformité mais les impacts générés doivent plus que jamais servir de driver à la réflexion stratégique des établissements financiers, au risque de se retrouver « suiveur » . . . et même voir disparaître certaines activités et profits . . .