Bancassureurs : les nouveaux champions de l’assurance ?
Après une excellente année 2015, l’activité assurance a cette année encore fortement contribué aux résultats des groupes bancaires. Concept lancé il y a plus de 40 ans en France par les banques mutualistes, la bancassurance consiste en la distribution par un même réseau bancaire de produits de banque et d’assurance. Selon le baromètre 2016 « croissance x rentabilité » de Facts & Figures, les Bancassureurs sont les grands vainqueurs de cet exercice en termes de croissance annuelle et de rentabilité. Que ce soit en assurance dommage ou en assurance vie, les taux de croissance sont 2 à 3 fois supérieurs à ceux des assureurs traditionnels.
Alors, pourquoi les banques sont-elles si intéressées par l’activité d’assureur et quelles sont les raisons de leur succès ?
Un contexte économique actuel moins favorable aux activités bancaires
L’activité bancaire a connu des temps bien difficiles, notamment en ce qui concerne l’activité de banque de détail qui se dégrade d’année en année en France. Depuis 2008, les banques sont en difficulté pour revenir à un niveau d’activité et de marge corrects. Et le contexte ne facilite pas leur entreprise.
Malgré une légère hausse fin 2016, le maintien des taux bas, voire négatifs, pose de réels problèmes en termes de rentabilité sur l’activité de détail notamment. Un double effet découle de cette tendance : si le volume des prêts a encore augmenté en 2016 pour dépasser les 217 milliards d’euros de crédits accordés, la marge dégagée reste très faible. Les banques cherchent alors à rattraper du PNB sur les crédits avec l’assurance emprunteur. Plus largement, cela impact également les placements dits sécurisés entrainant une baisse des rendements sur des produits types Livret A ou PEL (Plan d’Épargne Logement).
Outre le contexte économique, d’autres facteurs impactent le marché bancaire. L’un d’entre eux, qui a modifié profondément le secteur, est la forte concurrence. Le nombre d’acteurs historiques vient se gonfler de plus petits acteurs agiles et dont le business model repose sur les nouvelles technologies. Il s’agit bien sûr des Fintechs. Ces start-up de la finance viennent bouleverser le modèle classique de la banque en mettant au cœur de leur stratégie l’innovation et la relation client. Là où les mastodontes de la banque se reposaient sur des acquis ou avançaient avec précaution, ces nouveaux acteurs ont saisi une occasion de bouleverser le marché en leur faveur. Conséquence : une pression sur les frais de compte et services associés, nécessitant une pratique de tarifs concurrentiels impactant directement les marges opérationnelles des acteurs historiques. Cet impact sera d’autant plus fort avec l’entrée en vigueur, le 6 février prochain, de la Loi Macron qui va faciliter les démarches lors d’un changement d’opérateur bancaire. Il est à prévoir une augmentation considérable du nombre de départs des clients qui va très probablement profiter aux banques en ligne ou banques mobiles.
Enfin, le contexte réglementaire représente un troisième facteur impactant l’activité et le développement des banques. Comme d’autres secteurs, la banque n’échappe pas à son lot de réformes réglementaires, à l’échelle internationale, européenne puis nationale. C’est notamment le cas avec le renforcement des accords Bâle III, qui en 2010 ont débouché sur l’instauration d’un niveau minimum de capitaux propres pour les groupes bancaires, et ce afin d’assurer leur solidité financière.
Cette pression réglementaire se manifeste douloureusement pour les banques à travers un certain nombre de sanctions financières qui peuvent atteindre des sommes importantes. A l’instar du Crédit Agricole ou de BNP Paribas qui ont respectivement été condamnées à payer 694 millions d’euros et 9 milliards d’euros, les sanctions peuvent être sévères et très dommageables.
L’ensemble de ces éléments contribue à placer l’activité bancaire dans un contexte où la recherche de relais de croissance devient un enjeu stratégique. Quelles solutions les banques peuvent-elles mettre en place pour, malgré tout, tirer parti de ce contexte ? L’un des axes majeurs de développement choisi repose sur une diversification des offres pour une approche globale des besoins des clients en portefeuille. La relation et la fidélisation client doivent être replacées au centre de la stratégie. Plusieurs actions ont déjà été entreprises à ce sujet, comme de proposer une réponse globale aux besoins des clients en portefeuille : un client multi-équipé est en moyenne quatre fois plus fidèle qu’un client mono équipé.
Le résultat de cette association se traduit par un besoin de diversification en termes d’offres et une volonté de conquérir de nouveaux clients. C’est alors qu’intervient le concept de bancassurance : les offres assurantielles peuvent permettre de prétendre à ces objectifs.
L’activité assurantielle : un relais de croissance évident pour les banques
Si l’activité bancaire connait des difficultés en termes de croissance et de rentabilité, on note à l’inverse un PNB favorable sur les activités assurantielles.
Produit phare de l’assurance, et principal driver de revenus pour les Bancassureurs, l’assurance-vie reste le principal succès de ces derniers. Ils ont réussi à s’imposer comme les leaders sur ce segment avec 60% de parts de marché, devant les assureurs historiques, et profitent encore largement de ce portefeuille de produits. Mais attention à la dépendance forte à l’assurance-vie, il apparaît aujourd’hui un réel besoin de diversifier le portefeuille, d’autant plus que les contraintes réglementaires se sont intensifiées ces dernières années. À l’instar de la Loi Eckert sur les contrats d’assurance-vie en déshérence, et les sanctions qui ont suivi par l’ACPR, il devient urgent de disposer d’une offre assurantielle variée. De plus, les Bancassureurs doivent aujourd’hui réussir leur virage en matière de diversification et assurer un transfert d’une partie des encours du fond euro vers les Unités de Compte. En effet, leurs encours importants sur le fond euro pourraient venir menacer leur Business Model dans un contexte de taux bas.
Cela explique l’engouement des Bancassureurs qui s’attaquent depuis quelques années au marché « dommage / Assurance IARD » en insufflant une très forte dynamique commerciale. En automobile comme en multirisques habitation, les résultats sont plus que satisfaisants avec une croissance supérieure à celle du marché et une contribution aux résultats de plus en plus significative. Autre marché dynamique dans l’assurance, et les Bancassureurs l’ont encore une fois bien compris, celui dit de la « protection ». Regroupant les offres prévoyance, santé et emprunteur, ce modèle a eu le vent en poupe ces dernières années. Et la tendance continue, bon nombre d’acteurs veulent intégrer dans leur mix-business ce type de produits. Cependant, la tendance du marché n’est pas stable et les contraintes réglementaires récentes sur ces produits ne vont certainement pas faciliter son adoption ou son développement.
Enfin, des opportunités émergent suite aux contraintes réglementaires. Les lois qui encadrent le marché de l’assurance sont souvent perçues comme pénalisantes par les acteurs, mais la pratique a révélé qu’elles pouvaient ouvrir de nouvelles opportunités. Par exemple, la loi HAMON, dont deux des principes peuvent s’avérer être particulièrement bénéfiques : la possibilité de pouvoir résilier son contrat d’assurance plus facilement, accentuant la concurrence entre acteurs, ou encore la généralisation de la complémentaire santé à l’ensemble des salariés d’une entreprise, ouvrant un spectre commercial conséquent.
A la lumière de ces résultats, la conclusion suivante apparait : les banques qui se sont lancées sur le marché de l’assurance ont réussi leur transition avec un succès certain. Mais comment expliquer une telle réussite en un temps record ? Et, pourquoi les prévisions et la dynamique de la bancassurance sont-elles si optimistes ?
L’une des premières explications est la possibilité de capitaliser sur un important réseau d’agences, une connaissance client forte, mais aussi sur une base de clients importante et souvent fidèles. En effet, historiquement la relation avec une banque se pense plutôt sur le long terme, relation qui est en train de se transformer depuis quelques années. De part un maillage important du territoire grâce à leur réseau d’agences, les banques disposent d’une proximité avec les clients qui a constitué, et constitue encore, l’un des atouts majeurs dans leur développement stratégique. C’est notamment le cas des Bancassureurs, qui ont su conserver leurs points de vente là où leurs concurrents sont partis. Un vrai avantage lorsque l’on sait que la relation assuré/assureur est primordiale et encore très demandée : une majorité significative des assurés souhaitent s’entretenir au moins une fois par an avec leur assureur.
Néanmoins, dans le contexte actuel et à venir, ce ne sera plus un argument suffisant. En effet, l’apparition de nouveaux canaux de distribution va entrainer une nouvelle donne. Les nouvelles technologies influent sur les comportements des clients et notamment sur leur parcours d’achat. Un enjeu fort autour de la relation multicanal apparait, les acteurs veulent mettre en place des processus convergents et interruptibles sur tous les canaux (commencer une demande de souscription sur smartphone pour la terminer en agence exactement là où le client s’était arrêté). Si les banques ont déjà un véritable savoir-faire à ce sujet, elles vont devoir intégrer davantage leurs offres d’assurance dans leurs projets de «banque digitale». D’autant plus que les données dont disposent les banques sont loin d’être exploitées dans leur totalité. Il réside dans ce traitement une vraie richesse (habitudes de consommation, composition et évolution de la cellule familiale, état de santé, etc.) qui pourra permettre de diversifier les offres proposées mais aussi d’être en mesure d’avoir un time-to-market au plus juste. Les assureurs classiques ont pris le train tardivement, il appartient donc aux Bancassureurs d’être leaders de l’innovation à ce sujet afin de répondre à la modification des comportements client. On assiste d’ores et déjà à ce changement profond dans les banques qui sont en voie de passer d’une culture produit à une culture client.
La bancassurance prend de plus en plus de place sur le marché assurantiel français
De bons résultats, une forte capacité d’innovation et une croissance toujours aussi soutenue permettent aux Bancassureurs d’avancer d’année en année dans le classement des groupes d’assurance en France. Pour la première fois, en 2015, un groupe de Bancassurance, le Crédit Agricole assurances, s’est hissé à la première place devançant des acteurs tels qu’Axa ou Allianz. Le classement ci-contre démontre la forte présence des banques dans le top 20 des groupes d’assurance en France, dont 5 sont présentes dans le top 10.
Là où la plupart des groupes d’assurance classiques ont une croissance faible, voire négative, les banques distribuant des produits d’assurance de ce classement peuvent se targuer d’une croissance allant jusqu’à 2 chiffres. C’est notamment le cas de BNP Paribas Cardif ou de Société générale Insurance qui bénéficie d’un taux de croissance de 22% entre 2014 et 2015. À noter, et cela se perçoit sur ce classement, que le marché de la Banque connait une plus forte concentration que le marché de l’Assurance. Seulement un nombre réduit d’acteurs se partage ce marché, ce qui leur permet d’avoir une base de client plus large et donc un poids sur ces marchés non négligeable.
Lorsque l’on s’intéresse à la répartition du marché des Bancassureurs, il apparaît que les acteurs historiques de ce modèle sont très présents : on retrouve ainsi une domination significative des banques mutualistes avec le groupe Crédit Agricole en tête. Ce sont ensuite les groupes bancaires qui se partagent le reste du marché. Globalement, avec un nombre significatif d’acteurs dont la croissance affichait 2 chiffres en 2015, force est de constater que le marché de la Bancassurance se porte bien.
Néanmoins, cette répartition du marché est à relativiser, car si un certain nombre de banques ont développé leur propre filiale d’assurance – modèle intégré, comme par exemple le Crédit Agricole avec les filiales Predica, Pacifica, CACI, etc. – d’autres fonctionnent avec une stratégie tout à fait différente. Le modèle intégré a ses limites notamment lorsqu’il s’agit de conquérir de nouvelles activités de l’assurance comme la santé. C’est pourquoi, certaines banques ont choisi de mettre en place des stratégies de coopétition dont le but est de nouer un partenariat avec un concurrent, ici un assureur. C’est notamment le cas du groupe BPCE et de la Banque Postale qui ont choisi de s’associer avec l’assureur CNP assurance.
Finalement, si nous devions répondre à la question que nous nous posons pour introduire cet article, la réponse au regard des éléments présentés serait plutôt positive. Cependant, que les assureurs se rassurent, ils n’ont pas perdu totalement la vedette, notamment en ce qui concerne certains marchés comme la santé. Les Bancassureurs sont de redoutables concurrents car, poussés par un besoin croissant de diversification et de sécurisation de leur activité, leurs offres deviennent de plus en plus larges. La législation est en leur faveur, car la protection du client est au cœur des textes, entrainant une mobilité simplifiée et permettant à une concurrence accrue de s’installer. De plus, les travaux des groupes bancaires sur la digitalisation des offres et la relation client profitent largement à leur conquête de parts de marché en rassurant le client et répondant aux besoins de demain. Mais c’est bien le client le grand décideur de l’avenir de la Bancassurance. Plus renseigné, plus connecté et plus exigeant, quel sera son choix malgré tous les efforts consentis, la question reste entière.