COP21 et loi de transition énergétique : vers une finance plus durable ?
Dans la continuité du sommet du G7 à Elmau et précédant la COP21 de quelques mois, la loi sur la transition énergétique a été définitivement adoptée le 22 juillet 2015. Ce texte novateur au périmètre large (réduction de la part d’énergie produite par le nucléaire, développement accru des énergies renouvelables, transports moins polluants, lutte contre le gaspillage alimentaire, etc.) aborde également les prémices d’une finance plus durable, plus “verte”.. Mais au-delà des effets d’annonce, est-ce devenu une priorité pour le secteur financier ? Quels moyens disposent les différents acteurs pour répondre à cette problématique ?
Ce que contient la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte
A travers ses différents articles, le texte s’adresse à de multiples acteurs comme les entreprises (risques financiers liés au changement des conditions climatiques et les mesures pour les réduire), les banques (mésestimation du risque carbone, risque de levier excessif) ou encore les investisseurs institutionnels.
Ces derniers seront directement impactés par l’article 173 du texte de loi qui viendra compléter l’article L533-22-1 du Code Monétaire et Financier avec les obligations suivantes :
- la prise en compte de l’exposition des actifs financiers et des portefeuilles aux risques climatiques
- l’adaptation de leur politique d’investissement (obligation de faire figurer les modalités de prise en compte dans le rapport annuel ainsi que la nature des critères retenus)
- la mesure des émissions des gaz à effet de serre
- leur contribution à la transition énergétique et écologique
Ces obligations sont applicables dès l’exercice clos au 31 décembre 2016.
Prise en compte de l’exposition des actifs financiers et des portefeuilles aux risques climatiques
La problématique de prise en compte des changements climatiques sur les actifs financiers est relativement jeune. Les institutions financières tout comme leurs régulateurs ont identifié deux catégories de risques distincts : les risques climatiques sur les actifs physiques et le risque carbone.
Il existe actuellement différentes stratégies d’intégration de ces risques au sein des organisations comme la méthode d’évaluation “alternative discounted cash flows » (notamment repris par les agences de notation Moody’s et S&P), la méthode d’analyse de risques par type d’actifs ou encore l’utilisation de stress tests (qui reposent sur une vision scénarisée).
Cette problématique n’est pas que théorique ; le fonds souverain norvégien GPFG, plus important fonds souverain mondial (882 milliards de dollars en juin 2015), a demandé fin 2014 à un groupe d’experts d’évaluer l’opportunité d’exclure du portefeuille du fonds les valeurs des entreprises des secteurs des énergies fossiles (charbon et pétrole) responsables du réchauffement climatique. Deux recommandations ressortent principalement du rapport final. D’une part, ces experts recommandent de développer une approche d’exclusion au cas par cas, de donner la priorité à la progression de l’efficacité carbone des sociétés en dynamique, et de mettre en place une appréciation de l’activité des entreprises quantitative et qualitative. D’autre part, ces experts préconisent de renforcer la stratégie d’actionnariat sélective du fonds à travers l’analyse des impacts du risque climatique sur ses investissements à long terme et à travers l’intégration de la problématique climatique dans ces choix d’investissements.
Comment adapter sa politique d’investissement
Pour le moment, les acteurs sont plus dans une logique de protection des actifs que d’amélioration des rendements financiers. Pourtant, en répercussion du changement climatique, il y aura bien à l’avenir des stratégies d’investissement gagnantes et d’autres perdantes.
La première étape pour adapter sa politique d’investissement consiste à redéfinir ses objectifs et ses croyances. Cette redéfinition se base sur la connaissance des expériences passées, sur l’identification des besoins de toutes les parties prenantes et sur la définition d’attentes concernant les futurs investissements. Une fois que cette information est connue et partagée, il s’agit de l’appliquer à tous les niveaux de l’organisation, en interne comme en externe, afin de maximiser la création de valeur. L’ONG australienne Asset Owner Disclosure Project (AODP) a notamment publié les bonnes pratiques à suivre pour l’établissement d’une politique d’investissement durable.
Les quatre stratégies “bas carbone” les plus utilisées par les investisseurs sont l’investissement à thématique environnemental (green bonds), le désinvestissement des énergies fossiles ou à fort empreinte carbone (extraction de charbon, sables bitumineux, production de ciment, etc.), l’engagement actionnarial excluant principalement les énergies fossiles (sélection best in class), et beaucoup plus rarement la gestion indicielle bas carbone.
In fine, la politique d’investissement devra refléter l’approche retenue par l’organisation pour estimer les risques climatiques. Elle devra donc nécessairement préciser les critères contenus dans l’analyse extra-financière comme l’analyse des profils des entreprises sur la base de leurs émissions – best performer -, de leurs efforts à les réduire – best effort – et de leur offre de solutions bas carbone – best solutions. Cette démarche permet d’évaluer en amont des investissements les risques et enjeux de gouvernance économique, social et environnemental. La politique d’investissement inclura également les techniques retenues pour la mesure du risque. Ce travail permettra d’aboutir à l’identification de nouvelles opportunités et de nouveaux marchés. En aide à la décision, il est également prévu par l’article 48 de la loi de transition énergétique que l’Etat identifie “des cibles indicatives définies, en fonction de la nature de leurs activités et du type de leurs investissements, en cohérence avec la stratégie nationale bas-carbone”.
Pour valider sa nouvelle politique d’investissement et pouvoir capitaliser sur sa portée auprès de ses investisseurs, l’organisation pourra également s’appuyer sur l’existence de labels. En effet, plusieurs labels comme “Transition Energétique et Ecologique” ou “Novethic” certifient les différents acteurs en fonction des objectifs qu’ils ont retenus.
Calcul des émissions de GES associés à des actifs détenus en portefeuille
La forte mobilisation des investisseurs autour de la problématique de gestion du risque climatique démontre qu’ils mesurent bien l’impact économique du phénomène. La gestion du calcul des émissions de gaz à effet de serre résultait jusqu’alors principalement d’une logique pédagogique ou venait appuyer une stratégie de communication.
Il existe deux types de démarches pour effectuer ce calcul : la mesure des émissions (empreinte carbone) et l’évaluation du risque lié à la présence d’entreprises dépendantes des énergies fossiles (risque carbone). L’empreinte carbone calcule les émissions de gaz à effet de serre des entreprises détenues en portefeuille en fonction de la détention en capital (on parle également d’intensité carbone). Ce calcul permet notamment la comparaison d’un portefeuille avec son indice de référence. Il est également possible d’évaluer son empreinte carbone dans le temps. Le calcul du risque carbone permet quant à lui d’estimer l’exposition du portefeuille au secteur des énergies fossiles (stranded assets risk).
Dès 2008, une caisse de retraite australienne (VicSuper, 15 milliards d’euros d’actifs sous gestion) et une société de gestion suisse (Pictet, 403 milliards d’euros d’actifs) publiaient l’empreinte carbone de leurs portefeuilles. Désormais, le nombre d’acteurs impliqués a augmenté mais leur représentation reste faible. A titre d’information, les 500 plus grands fonds de pension du monde, qui totalisent près de 50 000 milliards de dollars d’actifs, n’investissent que 2% dans des actifs bas carbone. Seulement 7% des gérants de ces fonds étaient d’ailleurs capables de fournir une estimation de l’empreinte carbone de leur portefeuilles.
La mesure de l’empreinte carbone nécessite plusieurs phases. Premièrement, il faut quantifier les émissions pour chaque émetteur présent en portefeuille (ce qui nécessite beaucoup de ressources) et les modéliser. GHG Protocol préconise l’usage de “Equivalent 2” et de catégories d’émissions divisés en 3 scopes (émissions directes, émissions issues des fournisseurs d’électricité, émissions issues des autres fournisseurs ainsi que du reste de la chaine de valeur). Après la modélisation des données, il faut collecter et catégoriser ces données par type d’émission pour l’entreprise, et bien couvrir l’intégralité du périmètre. Enfin, après la détermination des émissions de GES pour chaque émetteur, il faut déterminer l’empreinte carbone du portefeuille dans sa globalité.
Ce travail de “décarbonisation” du portefeuille est d’ailleurs défendu par la Portfolio Decarbonisation Coalition dont l’objectif principal est de réallouer stratégiquement le capital actuellement investi sur des projets et des entreprises fortement génératrices de GES sur des projets et des entreprises plus durables (objectif de réallocation de l’ordre de 100 milliards de dollars). En parallèle, les ONG et les mouvements citoyens tels que “Go Fossil Free” ont déjà réussi à convaincre plus de 200 investisseurs internationaux représentant plusieurs centaines de milliards de dollars.
Objectifs à court et moyen termes
Les risques liés au changement climatique impacteront assurément à l’avenir le retour sur investissement des établissements financiers. Pour continuer à maximiser leurs revenus, il parait évident que les investisseurs devront rapidement considérer le risque climatique pour chaque classe d’actif, pour chaque secteur et sous-secteur industriel.
Un des points critiques pour une transition réussie concernera sans aucun doute les coûts nécessaires pour répondre aux nouveaux standards internationaux. Un consensus sur les méthodes de mesure de l’empreinte carbone des portefeuilles apparaît dorénavant comme indispensable pour aboutir à une uniformisation. Cette décision résoudrait ainsi l’obstacle technique principal rencontré par les acteurs financiers. La volonté des organisations et gouvernements mondiaux d’insuffler une mobilisation globale ne devra pas être décorrélée des initiatives existantes de standardisation (comme le GHG Protocol).
L’ensemble de ces décisions devraient affiner une régulation aujourd’hui infructueuse pour inciter les investisseurs privés à s’engager à la hauteur des enjeux de la transition énergétique.