Le 2 décembre dernier, le journal allemand Der Spiegel publie des révélations sur un vaste schéma d’évasion fiscale portant sur plus de 188 millions d’euros. Le monde du football et ses plus grands acteurs sont au cœur de ce scandale : Cristiano Ronaldo, Paul Pogba ou encore José Mourinho sont chacun soupçonnés d’avoir dissimulé plusieurs millions au fisc.

À l’origine, ce sont plus de 18,6 millions de documents confidentiels qui ont fuité, donnant naissance à ce que l’on nomme désormais les Football Leaks. Pendant 7 mois, 51 journalistes européens travaillant pour 12 médias différents (European Investigative Collaboration : EIC) ont décortiqué ces 1,9 Terabytes de données.

Quel est précisément le schéma de cette évasion fiscale ? Quel est le rôle de la Banque dans la lutte contre ce type de fraude ?

Les agents, appuyés par un réseau de sociétés-écrans et de comptes offshore, au banc des accusés

L’EIC a mis au grand jour un vaste schéma d’évasion fiscale. Les revenus cachés au fisc ne sont pas ceux issus des salaires versés par les clubs, dont les montants sont difficilement dissimulables. Ils concernent les contrats publicitaires à caractère international. C’est-à-dire les revenus issus de la publicité qui ne sont pas versés dans le pays de résidence fiscale (exemple : un contrat de sponsoring avec un opérateur téléphonique chinois pour un joueur espagnol). Seuls les joueurs et entraîneurs de renommée internationale peuvent généralement prétendre à de tels contrats, dont la gestion est confiée aux agents.

Les lieux-clés du schéma d’évasion sont l’Irlande, les Îles Vierges Britanniques et la Suisse, tous trois connus pour leur fiscalité avantageuse. Le processus se découpe en plusieurs étapes :

  1. L’entreprise avec qui le sportif a établi un contrat de sponsoring verse les indemnités sur un compte offshore. Ce compte est celui d’une société située en Irlande. L’impôt sur les sociétés y est très bas (12,5%). En tant que pays membre de l’Union Européenne et de la zone euro, l’Irlande suscite la confiance des entreprises étrangères.
  2. Au contraire d’une personne physique, une personne morale n’est pas tenue de déclarer ses comptes à l’étranger. La somme est donc transférée de cette entreprise en Irlande vers une société écran aux Iles Vierges Britanniques. Il s’agit d’une société à activité fictive créée pour dissimuler les transactions financières d’une ou plusieurs sociétés actives.
  3. De la société écran, la somme est déplacée finalement vers un compte personnel en Suisse.

L’illégalité de ce schéma ne réside pas dans la société offshore en elle-même. Elle est plutôt dans l’utilisation qui en est faite et dans le but recherché : contourner les autorités fiscales. Une société offshore est une société établie sur un territoire offrant des avantages fiscaux aux non-résidents en échange de frais. Tout individu peut ainsi placer légalement ses avoirs sur un compte à l’étranger, tant que celui-ci figure dans les différents niveaux de déclaration (patrimoine, revenu ou société).

Qu’en est-il de la Banque ? Celle-ci joue évidemment un rôle prépondérant dans la prévention et la lutte contre l’évasion fiscale ou le blanchiment de capitaux. Si elle propose des services d’optimisation fiscale (investissements légaux visant à réduire l’imposition), elle doit être la garante du non-passage vers la fraude.

 Le rôle de la banque dans la prévention de l’évasion fiscale

 Le monde bancaire s’est mis en ordre de marche pour lutter contre le fléau de l’évasion fiscale. Face à des risques foisonnants, les systèmes de contrôles de l’évasion de capitaux ont été mis à niveau :

  • La norme d’échange automatique de renseignements fiscaux entre États

La norme d’échange automatique de renseignements fiscaux entre Etats, également appelée échange automatique d’informations (Automatic Exchange Of Informations, AEOI) est une norme définie par l’OCDE. Elle a pour objectif de lutter contre l’évasion fiscale. Ce dispositif est mis en place via la signature d’accords multilatéraux entre les pays participants, sur la base du volontariat. Environ 100 pays ont rejoint l’AEOI, dont l’ensemble des pays de l’Union Européenne. Les institutions financières des pays engagés doivent se conformer aux obligations du dispositif.

Il est ainsi attendu de ces institutions qu’elles identifient les titulaires de comptes (personnes physiques ou morales) afin d’établir les juridictions où ceux-ci sont résidents fiscaux. S’ils sont résidents fiscaux dans une juridiction étrangère participant au dispositif, ils seront déclarés à l’autorité fiscale du pays où le compte est tenu qui transmettra ces déclarations à l’autorité fiscale de la Juridiction de résidence du client. L’AEOI est rentré en vigueur le 1er janvier 2016 pour des premiers échanges d’informations en 2017.

Les comptes concernés sont les suivants : comptes de dépôt, aux comptes d’instruments financiers, aux contrats d’assurance vie et aux participations ou créances dans une Institution Financière (telles que les participations dans des OPCVM). Les soldes des comptes, revenus tirés d’actifs financiers et produits bruts totaux de ventes d’actifs financiers sont alors communiqués.

  • FATCA

La loi américaine FATCA (Foreign Account Tax Compliance Act) vise également à lutter contre les montages d’évasion fiscale. Celle-ci est néanmoins limitée aux comptes ou entités étrangères détenus par des contribuables américains. Depuis Juillet 2014, les institutions financières non-américaines ont comme responsabilité d’identifier les contribuables américains dans leurs bases clients. L’objectif est d’ensuite déclarer à l’administration fiscale américaine (IRS : Internal Revenue Service)  les revenus de ces derniers, dans une réelle logique de transparence fiscale. Des accords bilatéraux et intergouvernementaux en sont à l’origine.

Les banques sont ainsi tenues de se mettre en conformité afin de valoriser ce dispositif de lutte, générant des diligences de nature différente selon leur pays d’implantation. Les autorités américaines attribuent un numéro d’identification FATCA (Global Intermediary Identification Number, ou GIIN) à chaque établissement financier en conformité.

  • La fonction conformité

Le développement de la fonction conformité, partie intégrante du contrôle interne, illustre chez les banques la volonté de se mettre au diapason. Les systèmes permettant de respecter les dispositions législatives et réglementaires propres aux activités bancaires et financières (telles que l’AEOI ou FATCA, évoquées précédemment) sont en constant renforcement. Les institutions financières s’inscrivent dans une politique de prévention de risques de non-conformité tels que des risques d’évasion fiscale mais aussi de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme.

Après les Panama Papers, les Football Leaks ont généré une nouvelle vague médiatique sur un sujet lié à l’évasion et à la dissimulation fiscale. Au délà de la polémique liée au statut des joueurs, clubs ou agents incriminés, ils soulignent le rôle primordial que peuvent jouer les institutions financières pour détecter les fraudes. Les organes de conformité des banques s’imposent comme les garants de cette lutte et comme les relais des dispositifs réglementaires et légaux initiés par les instances gouvernementales.