La Directive Européenne des Services de Paiement (DSP) et ses évolutions : quels risques pour les banques ?
La naissance de la Directive pour encadrer en environnement en constante évolution
Au cours des dernières années, le marché des services de paiement a connu de grandes mutations, tant au niveau technologique que législatif. L’émergence de nouvelles pratiques et de nouveaux acteurs (apparition des agrégateurs de comptes tel Linxo et Banking ; de services de paiement mobile comme Paylib…), liée à un environnement technologique en constante évolution, a fait apparaitre la nécessité de revoir le cadre législatif des services de paiement. C’est dans ce cadre que la Commission Européenne a érigé la directive sur les services de paiement ou encore DSP.
Cette directive européenne a été entérinée le 13 novembre 2007, par les 27 pays de l’Union Européenne, ainsi que le Lichtenstein, la Norvège et l’Islande, et transposée dans les droits nationaux français au 1er Novembre 2009.
À travers la rédaction de ce texte, la Commission Européenne poursuivait 5 objectifs majeurs dont : le fait de garantir un accès équitable et ouvert aux marchés des paiements ; l’harmonisation des règles de fonctionnement des moyens de paiement en Europe ; le renforcement de la protection des consommateurs ; une meilleure gestion des moyens de paiement.
Le nouveau cadre juridique donné par l’introduction de cette directive a favorisé l’émergence de nouveaux acteurs. Désormais, les établissements de crédit (dont font partie les banques) n’ont plus le monopole du marché des paiements, ils doivent également compter sur les établissements de paiement.
L’arrivée de ces nouveaux acteurs a profondément bouleversé le modèle économique des établissements de crédit. En effet, les services de paiement représentent une part non négligeable des revenus directs et indirects des banques. En 2010, le revenu brut du secteur bancaire, lié au marché des services de paiement, en France était de 22 milliards d’euros
De DSP1 à DSP2
L’arrivée de la deuxième mouture de la directive sur les services de paiement a amené des changements majeurs.
En premier lieu, nous trouvons l’intégration des services d’initiation de paiement permettant aux clients de demander à un tiers de présenter et d’exécuter des opérations de paiements aux banques en leurs noms. L’un des acteurs principaux sur ce marché est Sofort (Allemagne). Ensuite, changement conséquent, les établissements de crédit et les PSP gestionnaires de comptes ont l’obligation de donner accès aux comptes et données de leurs clients aux fournisseurs tiers, appelés également « Third party providers » ou encore TPP, pour initier les paiements. Ces derniers, fournissant des services d’initiation de paiement et d’agrégation, auront quant à eux l’obligation d’adopter le statut d’établissement de paiement.
Quels risques pour les acteurs historiques ?
Les évolutions réglementaires récentes (DSP2) facilitent l’émergence de nouveaux acteurs sur le marché des services de paiement. En encadrant et légalisant les services d’initiation de paiement et d’agrégation, le législateur donne un nouveau coup de massue aux acteurs historiques attaqués de toute part.
D’un côté, les Fintech s’attaquent aux différents services offerts par les banques avec des offres très spécialisées. Ainsi, il est désormais possible d’obtenir un prêt pour sa PME grâce à Unilend (crowdfunding) ; d’échanger des devises (entre particuliers) sans aucun frais grâce à Weeleo ou encore de créer des cagnottes (Leetchi).
De l’autre côté, des géants comme les GAFA que sont Google, Amazon, Facebook et Apple proposent des Digital Wallets, appelés aussi portefeuilles électroniques (permettent de payer sur internet, de stocker des cartes de fidélité ou encore de payer dans des commerces de proximité via smartphone) et bénéficient d’une certaine légitimité auprès des consommateurs. Les crises financières récentes ont d’ailleurs renforcé le sentiment de méfiance des clients, en particulier aux USA. Une étude de la société Viacom aux États-Unis, a mis en avant le fait que les consommateurs ont davantage confiance dans les GAFA que dans les banques. Grâce à leurs Digital Wallets, ils peuvent offrir des services bancaires, d’achat et de paiement. Les GAFA sont également dotés d’une forte capacité d’innovation et de trésors de guerre colossaux (au 31 décembre 2014, Apple affichait une trésorerie de 178 milliards de dollar). Ainsi, ils ont les ressources nécessaires pour venir déstabiliser les acteurs historiques du marché des services de paiement et ils le font. Afin de mieux répondre aux besoins de leurs clients, les GAFA offrent désormais via leurs applications de paiement mobiles (Google Wallet, Apple Pay…) des parcours client complets sur une même interface, visant à :
- Avant l’achat : inciter à l’achat, faciliter la décision
- Pendant l’achat : simplifier l’achat et le rendre convivial via le digital wallet
- Après l’achat : gérer son budget
Les stratégies et les moyens de ces deux types d’acteurs sont très différents mais remettent tous deux en cause la stratégie et le rôle d’intermédiation des banques. De plus, à l’heure du tout numérique où les agences sont de plus en plus désertées par les clients, ne pas perdre la relation liée aux services de paiement devient un enjeu d’autant plus stratégique que l’acte de paiement représente un lien important entre la banque et le client.
Vers une collaboration Fintech et Banques ?
De plus en plus connectés, les clients des banques sont devenus des adeptes de la « banque en libre-service ». Il apparaît donc nécessaire de revoir les parcours et l’expérience client. Cette étape passe aussi bien par de l’innovation interne que par la création de nouveaux partenariats. Pour lutter contre les différentes offensives des nouveaux acteurs, lier des partenariats avec les ennemis d’hier, les Fintech, est une solution.
En dehors du sol européen, on peut citer l’exemple de la banque américaine CapitalOne qui a racheté Level Money. Malgré ce rachat, l’agrégateur de service reste autonome. Ce choix offre un double avantage pour Capital One : offrir un service supplémentaire à ses clients sans passer par une application externe et toucher directement la clientèle de ses concurrents.
Sur le marché Européen, deux types de partenariats se développent :
- La création d’incubateurs permettant aux nouvelles Fintech de se développer dans un environnement protégé et via des investissements. On peut citer l’exemple du Village CA by Crédit Agricole qui a déjà accompagné plus de 70 starts up.
- Certaines banques, à l’instar du français Boursorama, font le choix d’intégrer directement les services offerts par leurs anciens « concurrents ». C’est ainsi qu’en mars dernier, Boursorama a fait l’acquisition de Fiduceo (agrégation de comptes et gestion de budget)
Actuellement il est difficile de dire qu’elle est la stratégie optimale pour faire face aux différentes transformations du marché des paiements. Une certitude demeure cependant, la mutation des services de paiement n’est pas terminée, et elle se fera avec ou sans la présence des banques, y compris en France. En effet, si les banques françaises bénéficient d’un indice de confiance fort de la part de leurs clients, nombreux sont insatisfaits et envisagent de changer de fournisseur de services bancaires et de se multi bancariser. 40% des moins de 35 ans jugent par ailleurs que leur banque n’est pas à la pointe de la technologie et devrait progresser en termes de digitalisation de la relation client. DSP ouvre la porte à de multiples acteurs prêts à répondre à ces attentes.