Le nouveau modèle bancaire, une origine identique mais une mise en œuvre différente selon les régulateurs nationaux

À la suite de la crise financière mondiale de 2007-2010 (crise des subprimes, chute des valeurs financières, baisse de la croissance économique) et la crise de la dette dans la zone euro (crainte d’insolvabilité des dettes souveraines pour les banques de la zone euro) il est apparu que les établissements bancaires avaient besoin de recourir à l’aide financière publique. Cela a entraîné une nécessité de contrôle et de réglementations accrues à travers la Règle Volcker aux USA, le rapport Vickers au UK, la loi de séparation bancaire en France et en Allemagne et le projet de règlement suite au rapport Liikanen en Europe. La question de la séparation des activités de marché (trading pour compte propre ou compte de tiers) des autres activités bancaires (dépôts, crédits, conseil stratégique et financier, etc.) est ainsi redevenue primordiale aux yeux des gouvernements, dans le but d’une meilleure protection des dépôts des clients et des aides de l’Etat. Cependant, la mise en place de cette séparation des activités n’est pas uniforme au niveau mondial et pourrait introduire une distorsion de concurrence.

Une approche différente selon les régulateurs pouvant fausser la concurrence internationale entre les banques

Au Royaume-Uni, le rapport Vickers préconise d’avoir des capitaux propres et des liquidités à court terme plus importantes pour les banques de détail. Il propose même d’isoler ces activités « retail » dans des filiales, allant ainsi au-delà des recommandations de Bâle 3. Pour autant, compte tenu du lobbying bancaire d’outre-manche, la mise en œuvre de ces recommandations ne devrait pas être finalisée avant 2019.

Aux Etats-Unis, la règle Volcker se limite à protéger les épargnants en limitant les investissements des banques de dépôt dans les activités risquées, telles que le trading pour compte propre, les hedge funds ou les fonds de private equity.

Cette réforme est beaucoup contraignante qu’une séparation pure de la banque de dépôt telle qu’elle est envisagée par les lois de séparation bancaire récemment mises en place par la France et l’Allemagne, modèle qui devrait être aussi adopté au niveau européen suite au rapport Liikanen. Ce dernier prévoit : soit un cloisonnement des activités bancaires de base exigé par la législation nationale, soit des mesures imposées par les autorités compétentes dans le respect des dispositions du règlement.

Businessman ripping up the RULES sign on white backgroundNous voyons apparaître ici une distorsion de concurrence notable, car les banques européennes ne pourraient plus profiter des bénéfices du modèle de « banque universelle » tel que nous le connaissons, permettant notamment l’accès aux dépôts des clients, qui constitue une ressource de financement bien moins coûteuse que le recours au marché. Cela entraînerait un endettement accru des banques européennes, qui verraient ainsi leur rentabilité et leur compétitivité diminuées face aux banques étrangères concurrentes.

Il faut cependant relativiser cette distorsion pour le moment, au regard du peu de nombre de banque finalement impactées en France, voire en Europe au vu des seuils visés. D’autant que la réorganisation du système bancaire aux USA va diminuer la rentabilité des établissements financiers américains, un coût que les banques américaines vont devoir compenser tout comme les banques étrangères travaillant aux Etats-Unis, également impactées : c’est donc une réforme complexe et coûteuse qui s’ajoute à l’ensemble de la réglementation bancaire mondiale et qui pourrait bénéficier aux banques locales européennes ou asiatiques.

La séparation bancaire n’est pas si impactante pour les banques, alors que les bénéfices attendus dans la réduction des risques d’une nouvelle crise financières ne sont pas avérés

Même si les législations nationales en Europe et le projet de règlement européen visent à restreindre la prise de risque excessive et à limiter la taille des bilans résultant des activités de financement et d’investissement, ces mesures sont en pratique difficilement tenables. Un financement par endettement accru pourrait être difficile à concilier avec la réglementation prudentielle Bâle III, déjà très exigeante en matière de fonds propres. Ainsi si on prend le cas français, pourtant considéré comme le plus contraignant, seules deux banques sur les dix concernées, BNP Paribas et Société Générale, ont filialisé leurs activités pour compte propre, en créant à l’occasion Opera Trading Capital et Descartes Trading. Les autres établissements concernés ont préféré quant à eux arrêter certaines activités de trading, afin d’éviter le coût d’une telle filialisation. D’autant que ces filiales ne représentent qu’un peu moins d’1% des activités de la banque de financement et d’investissement (BFI) respective de BNP Paribas et Société Générale, autant dire une goutte d’eau. Le modèle de banque universelle n’est pas remis en question.

De plus, alors même que la séparation bancaire n’est pas si impactante, elle ne permet pas non plus de rendre plus étanche les activités bancaires. En effet, que se passera-t-il si la filiale qui gère la spéculation pour compte propre fait faillite et engendre de lourdes pertes pour la maison mère? Par le passé, deux des quatre principaux groupes français, BPCE et Crédit Agricole, ont déjà isolé leurs activités de marché dans leurs filiales respectives, Natixis et Cacib, et ont dû venir à leur rescousse respectivement en 2008 et 2011 . L’isolation n’est finalement pas une solution miracle.

Enfin, le risque bancaire n’est pas seulement inhérent aux activités de marché. Les contre-exemples récents sont nombreux. L’activité de crédit immobilier a été une source importante de risque : en Espagne, la chute des prix immobiliers et l’insolvabilité des emprunteurs ont mis les banques en quasi-faillite ; aux Etats-Unis, la crise des subprimes est une crise du crédit immobilier qui a affecté les marchés grâce à des mécanismes sophistiqués de titrisation. Ces mécanismes avaient permis aux banques de sortir le risque de leur bilan (du moins en apparence).

Dans un contexte de globalisation financière, la séparation des activités bancaires risque de ne jamais être effective.

En pratique, la réforme du système bancaire nécessite ainsi une coordination entre les Etats, car les grandes banques nationales disposent de filiales à l’étranger qui peuvent échapper à cette nouvelle réglementation. Par ailleurs, une banque d’affaires qui fait face à d’importants problèmes de liquidité demandera l’aide financière publique, ce qui pourrait lui être refusé (Cas Lehman). Pourtant, ne pas avoir soutenu Lehman Brothers a eu des effets collatéraux considérables et durables sur la sphère financière mondiale, ayant même des répercussions sur l’économie mondiale. La piste d’une responsabilité pénale accrue des dirigeants du monde financier pourrait également être explorée. Nous sommes finalement dans un statut-quo international qui ne pourra se résoudre que par de nouvelles mesures coordonnées au niveau du G20.