Dans la continuité de l’accroissement de la transparence, de la lutte contre les conflits d’intérêts et de la protection du client final, la directive déléguée d’avril 2016 a introduit plusieurs changements importants concernant le financement de la recherche et a, de ce fait, surpris un grand nombre d’acteurs. En effet, sous MiFID II la fourniture de recherche constitue dorénavant pour celui qui la reçoit, une forme d’incitation, c’est-à-dire, un avantage qui peut être porteur de potentiels conflits d’intérêts. Ainsi toute perception d’incitation est désormais expressément interdite dans le cadre de la fourniture de services de gestion de portefeuille pour le compte de tiers (ou gestion sous mandat) ou de conseil en investissement fourni sur une base indépendante. Le but étant de rendre le marché de la recherche plus transparent, efficace et concurrentiel.

Le texte de niveau 3 publié début avril par l’ESMA précise et assouplit (via le corporate access, budgétisation ex-ante top down ou bottom-up, etc.) un peu plus le contexte précédemment introduit dans les textes de niveau 1 et 2 concernant les modalités de financement des travaux de recherche fournis par des tiers aux entreprises d’investissement, et en particulier à celles qui offrent le service de gestion de portefeuille.

La « recherche » ?

À partir de janvier 2018 les prestataires de service en investissement (PSI) qui reçoivent ou utilisent de la recherche dans le cadre de leurs services d’investissement devront clairement dissocier le financement de la recherche et celui de l’exécution. En effet, MiFID II  interdit désormais la perception et la conservation des commissions ou avantages à l’exception des avantages non monétaires mineurs susceptibles d’améliorer la qualité du service fourni au client.
De plus, le considérant 28 de la directive déléguée énonce une définition de la recherche et précise deux critères qui permettent donc de clarifier ce qui peut être caractérisé comme de la recherche :

  • Il s’agit de matériel ou de service de recherche portant sur un ou plusieurs instruments financiers, sur d’autres actifs ou sur des émetteurs actuels et émetteurs potentiels d’instruments financiers ou du matériel ou des services de recherche étroitement liés à un secteur ou à un marché spécifique permettant ainsi de se former une opinion sur les instruments financiers, les actifs ou les émetteurs de ce secteur ou de ce marché ;
  • Ce matériel ou service recommande ou suggère explicitement ou implicitement une stratégie d’investissement et formule un avis étayé sur la valeur ou le prix actuel(le) ou futur(e) des instruments ou actifs considérés, ou contient une analyse et des éclairages originaux et formule des conclusions sur la base d’informations existantes ou nouvelles pouvant servir à guider une stratégie d’investissement ou pouvant par leur pertinence apporter une valeur ajoutée aux décisions prises par l’EI pour le compte de ses clients.

La fourniture de ou du service de recherche entre désormais, de ce fait, dans le cadre des incitations ou avantages qui sont régis par cette nouvelle directive. Il existe cependant une liste d’avantages non monétaires mineure pouvant être conservée par les PSI qui fournissent des conseils en investissements indépendants ou des services de gestion de portefeuille :

  • Informations ou documents relatifs à un instrument financier ou à un service d’investissement qui sont de nature générique
  • Documents écrits provenant de tiers, commandés et payés  par  une  entreprise  pour  promouvoir une  nouvelle émission mise  à  la  disposition   de  toutes  les  entreprises  d’investissement souhaitant les recevoir ainsi que  du grand public
  • Participations à des conférences, séminaires et autres événements informatifs sur les avantages et les caractéristiques d’un instrument financier ou d’un service d’investissement donné
  • Frais de réception de montant faible et raisonnable (repas et boissons lors des conférences)

Il est important de mentionner que le PSI consommateur de recherches, aura la responsabilité d’évaluer et de décider si le document, le service ou la prestation reçue constitue un élément de recherche ou un avantage non monétaire mineur.

Comment fonctionne un budget de recherche ?

Toujours dans cette optique d’accroitre la transparence, les obligations liées aux informations à fournir aux clients inclut également le budget de recherche. De ce fait les PSI devront, si toutefois, ils décident de faire payer la recherche à leur client, convenir d’un budget de recherche.

Il faudra donc comme pour tout budget respecter 3 phases :

  1. Établissement du budget : Ce budget devra donc estimer le coût de la recherche nécessaire et dont bénéficiera directement le client, il devra être assez granulaire pour être affecté par client, cependant, si un groupe de clients présente plusieurs intérêts communs dans une recherche, il pourra donc être affecté à plusieurs clients, il faudra, toutefois, être en mesure de démontrer cet intérêt commun. Il devra (au moins) être établi sur une base annuelle.
  2. Suivi du budget : Ce suivi permettra ainsi de quantifier et de qualifier la recherche achetée pour un client
  3. Révision du budget : Lors de chaque modification de ce budget il faudra d’abord en avertir le client. (ces ajustements doivent être raisonnables et limités)

En parallèle des phases discutées ci-dessus concernant le budget de recherche, le PSI devra informer régulièrement son client sur la vie de ce dernier. Ainsi, elle devra lui fournir une information :

  • Ex-ante : Cette information portera sur le budget conjointement établi entre le PSI et le client, ainsi que les conditions dans lesquelles ces frais estimés seront imputés. Il faut également prévenir le client lors de chaque augmentation de budget.
  • Ex-post : Cette information portera sur les frais réellement supportés par le client, ainsi que des informations sur les aspects quantitatif et qualitatif de la recherche achetée par le PSI
  • Une information supplémentaire à la demande du client : À la demande du client le PSI est tenu de fournir des informations sur la liste des prestataires fournissant de la recherche, le montant total versé à ceux-ci, les avantages et services reçus par la société de gestion par le ou les prestataire(s) fournissant de la recherche.

Les modèles de budget de recherche

Les acteurs concernés auront donc plusieurs possibilités pour se plier aux nouvelles règles relatives à la recherche en investissement. Parmi ces possibilités trois modèles sont évoqués pour le paiement de la recherche :

  • En direct sur les fonds propres de la société de gestion (P&L)

Cette méthode a comme principal avantage, une diminution des obligations du fait que dans ce cas-là, la recherche n’est plus considérée comme un avantage susceptible d’engendrer des conflits d’intérêts. Le financement de la recherche, dans ce cas, n’entre pas dans des incitations ou avantages, c’est une prestation comme une autre, reçue et payée par le gérant. Généralement, les raisons qui mènent à choisir ce modèle sont dues à sa simplicité de mise en place (pour les petites sociétés de gestion) et c’est aussi un argument marketing fort de ne pas impacter les futurs coûts à leurs clients. Cependant ce modèle a, comme son nom l’indique, un impact plus ou moins important (selon la consommation de recherche) sur les finances de la société étant donné que cette dernière prendra en charge tous les coûts liés à la recherche.

  • La méthode dite de « transaction »

Cette méthode a pour but de financer la recherche via un compte de recherche séparé (RPA), alimenté par les commissions partagées (CCP/CSA). Les frais de recherches seront collectés du compte de leur client lors de l’exécution de transaction par l’intermédiaire d’exécution en plus des frais d’exécution (à condition que les frais prélevés ne soient pas corrélés au volume des transactions. Il faudra bien entendu que ces frais entrent dans le cadre du budget établi ex-ante avec le client. Cette méthode sera sûrement une des plus utilisées sur le marché action du fait qu’elle est en place depuis de très nombreuses années. Il faudra, cependant, apporter quelques modifications pour qu’elle respecte les nouvelles dispositions ;

  • La méthode dite de « comptabilité »

Cette méthode aussi appelée modèle Suédois a pour but de financer la recherche via un compte de recherche séparé (RPA), qui sera à la charge du client. Il faudra ici, définir aussi un budget ex ante, des frais ad hoc seront donc prélevés au client selon une périodicité et une méthodologie définies par la société. Ce modèle a l’intérêt de pouvoir payer la recherche sur des actifs non-equity.

Quelle que soit la méthode envisagée, il faudra (dans les 2eme et 3eme méthodes) une estimation budgétaire ex-ante allouée à la recherche suffisamment granulaire. L’allocation du budget entre les portefeuilles pour chaque stratégie et pour chaque client devra être annoncée. Indépendamment de la méthode utilisée, la difficulté pour les « consommateurs de recherche » sera de fixer un prix ex-ante en fonction du type, du niveau et de la qualité de la prestation, sachant qu’il (le consommateur) ne pourra modifier son paiement ex post que de manière proportionnée et prévisible.

Quelle tarification de l’analyse financière ?

MiFID II entrera en vigueur le 3 janvier 2018 amenant avec elle, de nouvelles règles sur le financement de la recherche. Ceci est une réelle révolution tant pour les consommateurs, que pour les fournisseurs d’analyse financière. Une nouvelle question se pose sur la construction du prix de la recherche. En effet les acteurs doivent passer d’un prix théorique en point de base, qui n’était pas toujours connu ou calculé même à posteriori (car compris dans les tarifs d’exécution des ordres passés et évalué lors de « prestations groupés » ou de « vote broker »), à un prix quantifié correspondant à un vrai travail de recherche, ce qui est quelque chose de nouveau pour les acteurs traditionnels. Le sujet du prix de la recherche a été fruit de nombreux échanges notamment à travers plusieurs réunions de place entre les acteurs du buy-side et du sell-side organisées fin 2016. En effet l’ESMA impose une information ex-ante et donc pour cela un prix fixé à l’avance sans quoi le client ne pourra avoir une idée de ce qu’il va réellement payer, de même cela prouvera la dé-corrélation du financement de la recherche de celui de l’exécution.

L’établissement consommateur de recherche va très certainement avoir accès à trois types d’offre plutôt sous forme de package qu’à la carte :

*L’offre dite « low-cost » correspondra à un accès à la recherche écrite (newletters, notes, bases de données, etc.) via un site fermé par exemple. Cette offre varie entre 2000 et 50 000 euros environ, elle pourra cependant évoluer à l’avenir en fonction de quelques critères : nombre d’utilisateurs, nombre de documents de recherche vus, du type de recherche, etc.

**L’offre medium, quant à elle, permet en plus de la version « low-coast », l’accès aux analystes ; son prix évoluera en fonction du passé avec l’analyste et selon la forme des meetings (téléphoniques, internet, visio-conférence, collectifs, individuels, etc.)

***L’offre premium qui représente le must, permettra en plus, l’accès à un service beaucoup plus sur mesure. Ce service peut coûter entre 1 et 10 millions par an, selon éventuellement la renommée de l’analyste.

L’apparition de nouveaux acteurs

Face à cette nouvelle donne, certains acteurs en ont profité notamment avec l’avènement du big-data et des fintechs, en effet l’analyse d’un grand nombre de données est dorénavant possible (tout en ayant un rendu très qualitatif). C’est le cas de la start-up Alphametry, créée en 2014, son but est de mettre en contact les meilleurs analystes financiers avec les gérants de fonds, un peu comme un Airbnb de l’analyse financière. Cette offre permettra donc de répondre aux exigences de la nouvelle directive en plus d’offrir un tout nouveau concept.

Les impacts

Les nouvelles dispositions sur les rétrocessions ayant des impacts sur le financement de la recherche, entraine de profonds changements surtout, par rapport à la pratique. En effet, parlons du « corporate access », cette pratique qui est très répandue consiste à organiser des rendez-vous avec des dirigeants d’entreprise pour des gérants, par l’intermédiaire d’un courtier. La question était de savoir si le service de corporate access pouvait être considérer comme de la recherche. Les textes de niveau 1 ne faisant pas d’interprétation, celle-ci est donc laissée aux régulateurs nationaux. De ce fait l’AMF a conclu que le simple service de conciergerie amené par le corporate access ne pouvait être qualifié de recherche, donc dans ce cas simple de mise en relation, elle ne pourra pas être impactée au client. Cependant, cette simple mise en relation pourra être considérée comme un avantage non monétaire mineur si elle répond aux critères de ce dernier mais, si ce n’est pas le cas, elle devra être facturée et payée par le PSI sur ses propres deniers. En revanche, si cette mise en relation est accompagnée d’une prestation d’analyse financière, elle devra désormais être considérée comme de la recherche et donc être payée par les clients via le compte de recherche.

À contrario de l’autre côté de la Manche, la FCA opte pour une ligne beaucoup plus dure en mentionnant que le corporate access correspond à la définition d’avantages non monétaires mineurs qu’à de très rares cas. La FCA ajoute également que le corporate access correspond à un avantage dont bénéficie directement le PSI, il devra donc payer cet avantage sur ses propres deniers et non pas dans le cadre du budget prévu par la recherche. Ces disparités d’interprétations peuvent engendrer des gaps importants tant pour les fournisseurs d’analyse financière que pour les consommateurs (PSI, SGP, etc.).

Le financement de la recherche est un sujet très important à court et à moyen/long terme. Dans un avenir proche, les PSI vont devoir faire un choix entre les modèles précédemment évoqués, il en découle des évolutions sur les dispositifs à mettre en place concernant le financement de la recherche à la charge de la société versus à la charge du client. De plus, la tâche est encore plus compliquée du fait que la plupart des PSI mènent à la fois des activités de gestion sous mandat et de gestion collective, ils n’envisagent pas, au vu de la complexité (comptable, administrative, etc.) de mettre en place des processus différents liés à chaque service d’investissement (d’autant plus que certains de leurs clients institutionnels peuvent leur confier des actifs à gérer sous la forme de mandats d’une part, d’OPC d’autre part).

Une évolution de l’offre concernant la recherche produite par le sell-side est aussi à attendre, du fait du budget à fixer ex-ante pour chaque stratégie et pour chaque client, une estimation suffisamment granulaire étant attendue par le régulateur européen. Ce qui est une réelle nouveauté par rapport à la pratique actuelle, en effet, actuellement les PSI fixent les montants qu’elles accordent aux brokers par exemple via des votes broker, les offres des fintechs concernant l’analyse financière auront donc un réel intérêt. De même, dues à ces nouvelles obligations certains PSI vont recruter pour étoffer leur bureau de recherche et de ce fait, avoir beaucoup moins recours aux prestations externes d’analyse financière.

Les évolutions amenées par le nouveau cadre réglementaire régissant le financement de la recherche permettront au client d’avoir une meilleure visibilité et une meilleure rentabilité au vu des frais qu’il dépense car auparavant il pouvait arriver qu’un client paye pour une recherche qui n’était pas utilisée pour la gestion de son portefeuille mais pour celle d’autres clients.

Les impacts à moyen/long terme sont, cependant, plus compliqués à quantifier, en effet, de nombreux analystes pensent que ce nouveau cadre réglementaire pénalisera la recherche sur le secteur des PME-ETI.