Les transactions Blockchain peuvent-elles remplacer les banques ? Réponse à la FAQ Wavestone
Cet article fait suite à une question posée dans le cadre de la FAQ Wavestone concernant les transactions Blockchain et la menace potentielle qu’elles peuvent représenter pour les banques.
Arnaud Péchoux, Manager au sein de la practice Financial Services, répond à vos questions.
Pensez-vous que les transactions Blockchain puissent à moyen ou long terme remplacer les banques ?
La Blockchain est avant tout une technologie et une technologie ne remplace pas une institution. En revanche, l’usage d’une technologie, lorsqu’elle apporte de nouveaux services, une réponse plus complète à des besoins existants ou encore permet une réduction des coûts, peut conduire à concurrencer, dans un premier temps, et menacer in fine certaines activités bancaires (entre autres).
Le Bitcoin, première mise en œuvre mondialement connue basée sur la Blockchain, est une monnaie virtuelle née il y 6 ans, basée sur des développements Open Source. La Blockchain est structurellement fondée sur les principes de transparence, de collaboration et d’auditabilité (la blockchain est inaltérable).
Ce point de départ est fondamental pour comprendre en quoi la Blockchain peut bouleverser certaines grandes activités des établissements financiers actuels :
1 – Le crédit, fonction première de la banque et des établissements financiers,
2 – La gestion des monnaies – papier et scripturale, fonction régalienne,
3 – Les transferts d’argent, fonction sur laquelle les banques se sont positionnées de façon opportuniste – il faut noter à cet endroit qu’il s’agit de services qui sont déjà largement traités hors des banques dans d’autres pays comme les États Unis.
Sur chacune de ces activités ; la Blockchain est déjà ou sera un facteur disruptif :
- Depuis 2009, le marché des transferts d’argent s’est libéralisé avec la création de l’espace SEPA. De nouveaux entrants sont apparus depuis cette ouverture à la concurrence. La technologie Blockchain a favorisé l’arrivée d’acteurs tels que R3CEV qui étudie la substitution du protocole Swift ; ou encore l’apparition d’acteurs comme Moneywise et Moneytis sur les transferts d’argent. Et ce, à des tarifs plus que concurrentiels !
- Un état peut-il accepter l’utilisation d’autres monnaies que les devises réglementées ? Quand pourra-t-on payer sa baguette en Bitcoins, ou plutôt quel boulanger accepte les Bitcoins ? Notons pour exemple que certains pays, dont la stabilité politique et monétaire est à l’épreuve, commencent à utiliser le Bitcoin comme valeur refuge – au même titre que l’or il s’agit d’une ressource limitée, le nombre de bitcoin maximum en circulation étant d’ores et déjà connu, de l’ordre de 21 millions aux alentours de 2040 -, en complément du dollar ou de l’euro par exemple. Les bitcoins, bien que jusqu’à présent peu liquides, sont échangeables avec nos devises nationales tout en n’étant tributaires d’aucune banque centrale. Leur interdiction paraît dès lors fort peu réaliste. Pour autant la philosophie libertaire et la mécanique – indépendante des institutions – du bitcoin ne devraient pas échapper à un système de régulation sur le long terme (rappelons la jeunesse du bitcoin et de la blockchain). Toutes les banques centrales se saisissent actuellement du sujet.
- Enfin, même s’il est parfaitement faisable conceptuellement et techniquement d’émettre un emprunt en bitcoins, cette activité n’a pas encore été véritablement initiée. En revanche, certaines fintechs concurrencent d’ores et déjà les banques sur cette activité et il n’est pas du tout exclu que le mouvement s’accélère à la faveur de la blockchain et des possibilités offertes par les smart contracts.
Il est intéressant de constater également que les grands enjeux actuels de la banque peuvent être visés par les principes de la Blockchain :
- Les exigences de conformité poussent à combattre l’opacité pour favoriser la traçabilité, ce en quoi l’inaltérabilité du registre et son partage entre acteurs de confiance permet à la blockchain d’offrir des perspectives intéressantes.
- La progression des échanges commerciaux et des services associés accroissent la concurrence et l’activité sur les marchés : vers davantage d’instantanéité, de trafic des paiements internationaux, de transactions en ligne, etc.
- La lutte contre la fraude et le blanchiment d’argent: avec un chiffre d’affaires estimé en 2014 entre 250 et 500 milliards de dollars, c’est un point d’attention pour l’ensemble des établissements financiers.
La Blockchain apparaît donc comme une réponse possible aux préoccupations des banques. Énonçons quelques pistes de réflexion autour des contraintes liées à sa mise en place :
- Gouvernance de l’open source: Point central, le déploiement maîtrisé de cette solution alternative, dans une optique de blockchain publique, tient à la capacité d’une communauté à se mobiliser pour prendre des décisions communes, gouverner pour se développer et obtenir le meilleur consensus.
- Maîtrise du modèle de décentralisation et de désintermédiation: Là où Uber et AirBnB valorisent leur position de pivot de la mise en relation d’offres et de demandes, la Blockchain propose une solution purement désintermédiée et transparente, avec la baisse drastique des coûts associés à ce modèle. Pour autant, sauf pour certaines mises en œuvre résultant de logiques collaboratives et purement « citoyennes », il est peu probable que la mise à disposition de services basés sur la blockchain, fût-elle publique, s’abstraient de toute logique commerciale. Les plateformes de la dite « économie du partage » sont loin d’être menacées par l’émergence de la blockchain, a contrario elle pourrait jouer le rôle d’accélérateur dans leur développement.
- Expérimentation et changement de paradigme: A l’image de tout phénomène de rupture, les acteurs du marché – bien au-delà de la banque – veulent « voir avant de s’engager » dans la révolution Blockchain. Dans cette dynamique, de nombreuses expérimentations et autres Proof Of Concept (POC) se multiplient ; la plupart autour de mise en œuvre de Blockchains privées. Cette étape nécessaire pourrait néanmoins être considérée comme un contresens du principe fondamental de la Blockchain, publique par essence. Une Blockchain publique se base sur la confiance dans l’échange : la confiance entre acteurs (un des principes de base des marchés financiers actuels) devient secondaire, voire désuète. En revanche, une Blockchain privée se base sur la confiance entre les acteurs qui la gèrent. Cette rupture nette vis-à-vis des modèles existants pose la question de la création d’établissements financiers « à part », reposant entièrement sur cette nouvelle technologie (analogie avec la création des banques « full digitale »).
- Performance de la solution: Là où la Blockchain gère aujourd’hui approximativement 7 transactions à la seconde, VISA en gère plusieurs milliers ; cet argument, purement technique constitue une des limites actuelles des usages de la technologie mais ne devrait pas être un frein majeur si les autres freins déjà évoqués se desserrent.