En 2016, l’épargne des français avoisine les 4700 milliards d’euros*. La moitié peut être considérée comme improductive, peu rémunératrice pour le client (de type livret d’épargne, liquidités…), et ne crée que peu voire pas de valeur pour le client et l’économie en direct.

L’épargne moyenne de précaution des clients les plus aisés (actifs financiers supérieurs à 100 000 euros, soit 10% des clients bancaires qui détiennent 50% du patrimoine global), est de 176 000 euros, soit 2 années de revenus. Dans le reste du monde, elle représente entre 3 et 6 mois. Cette masse inactive est estimée à 500 Milliards d’euros. Le même exercice avec les clients classiques de la banque de détail (actifs financiers inférieurs à 100 000 euros), donne une seule année de revenus bloqués dans de l’épargne de précaution, soit un montant total de 350 Milliards d’euros*.

Pourquoi des clients aisés, peu sujets à risque et bénéficiant d’un régime de protection sociale parmi les plus élevés au monde font le choix d’épargner plus de deux années de salaire ?

Du côté de l’offre : pourquoi, dans un marché qui croît peu mais se transforme rapidement (vieillissement de la population, arrivée de la génération Z …), les institutions financières ne rendent pas plus productives les 550 Milliards d’euros (si l’on exclue l’épargne de précaution normale) qu’elles ont en portefeuille ?

Bien entendu, ces institutions financières allouent une partie de ces liquidités à la conservation des ratios imposés par les régulateurs ou les mettent à disposition de leurs autres activités. Pourtant, ces exigences ne recouvrant qu’une minorité, d’autres facteurs sont donc à considérer.

Commençons par regarder du côté des clients. Les français ont peu de culture financière. Les bases de l’économie et plus particulièrement des marchés financiers sont mal généralisées par le milieu éducatif. Ainsi, les clients retail ne sont pas enclins à investir car ils perçoivent cette activité comme un environnement d’initiés (voire comme du casino pour certains). Ils sont structurellement averses au risque et de moins en moins disposés à acheter ce qu’ils ne comprennent pas (en témoigne la proportion moyenne d’actions dans les portefeuilles français et anglo-saxons : 6% en France vs. 50% aux États-Unis). Une barrière majeure au financement direct et indirect de l’économie.

De plus, la confiance des français envers le système s’est très dégradée ces dernières années. Un phénomène aisément compréhensible si l’on considère les années de crises financières, de scandales politiques et l’apparition de directives peu encourageantes (à l’image de la BRRD autorisant le prélèvement sur les comptes bancaires au-delà de 100 000 euros en cas de difficultés ou en cas de faillite de la banque). Ceci ne pousse donc bien évidement pas à se tourner vers des solutions plus risquées potentiellement plus fructueuses. De plus, il y a de moins en moins de produits rentables, ce qui est notamment dû à la baisse des taux. La question se pose alors de savoir comment ces investisseurs frileux dans cet environnement de rentabilité faible vont atteindre leurs objectifs patrimoniaux.

Certains banquiers, quant à eux, se voient aujourd’hui de plus en plus orientés produit. Cela n’a pas toujours été le cas. Avant la financiarisation de l’économie, ces acteurs étaient avant tout des conseillers. Ils étaient plus à l’écoute des besoins et des préoccupations de leurs clients.

Une attitude qui fait écho à la stratégie de certaines banques depuis quelques années. D’une certaine manière, l’innovation financière de ces 30 dernières années est au cœur de ce retournement. En générant des produits de plus en plus complexes et fortement rentables, les organisations se sont adaptées et ont mis en place des indicateurs de mesure orientés produit. Dès lors, les banquiers sont désormais essentiellement motivés par la vente de produits plus rentables et, par manque de temps, ont déserté le conseil client.

Tout cela a bien fonctionné jusqu’en 2008, où le système financier est passé proche de l’effondrement. Depuis, les réglementations se sont accumulées, les marchés sont devenus plus complexes à appréhender et les clients encore plus averses aux risques. Pendant ce temps, de nouveaux entrants commencent subrepticement à pénétrer ce marché. Les institutions financières pensent souvent à tort qu’acheter ces entrants leur permettra de gérer cette crise structurelle et compenser les pertes de marché en interne. Ainsi, il s’agit pour les institutions bancaires d’éviter à tous de passer d’une dictature du « tout produit » à une illusion centrée sur un « tout » digital.

Quoi qu’il en soit, face à cet état de fait, nous pensons que les banques ont un impératif d’innovation passant par l’adoption d’outils digitaux ainsi qu’une refonte complète de leur stratégie. Celui-ci doit se constituer autour des grandes lignes présentées auparavant.

Pour commencer, le bon chemin ne serait-il pas celui du retour au client ?

Messieurs les banquiers, vos  clients manquent d’éducation financière, donc ils n’investissent pas. Alors pourquoi ne prendriez-vous pas en main leur éducation ? La technologie digitale est un moyen économe, permettant de toucher très facilement des communautés segmentées en leur proposant une offre éducative (directe ou indirecte) agile et ciblée. La banque Oddo s’est illustrée dans ce domaine en créant l’outil digital Ladiesbank.com proposant des offres de services adaptées à 6 profils de femmes différentes. En lançant ce projet de ciblage, la banque Oddo est un parfait exemple d’innovation bancaire : elle a su combiner l’apport digital, comme moyen, et sa capacité à cibler certains segments précis avec une stratégie novatrice. N’oubliez pas que les futures générations savent déjà que la connaissance est la clef de leur développement et de leur autonomie, et que si vous ne leur proposez rien, ce sont d’autres acteurs qui le feront.

Dans cette ligne customer centric, restaurer la confiance est un autre point essentiel. Cette restauration commence par une transparence accrue à tous les niveaux (frais, performances, ciblage…). Les banques devraient être innovantes en offrant une architecture ouverte ciblée à l’ensemble de leur clientèle. Un bon moyen d’enrayer la stratégie centrée produit, responsable dans une certaine mesure des 550 milliards « dormant ». Les banques pourraient par exemple s’inspirer de la Fintech française Pandat qui exploite l’architecture ouverte en proposant à ses clients les meilleurs produits des différentes banques.

Ils veulent des offres qui répondent à leurs principales préoccupations ? Proposez-leur des agences spécialisées pour les conseillers dans les grands événements de leur vie : immobilier, éducation, sécurité, retraite, succession. Ces agences pourraient également tenir compte des spécificités locales, une agence dans une petite ville de province n’adresse pas les mêmes problématiques qu’à Paris ou à Lyon. Dans la suite de chaque événement, il y a des produits et d’autres services à vendre. Vous irez les chercher à l’extérieur et vous vous ferez commissionner. Cette stratégie est abondamment utilisée par voyages-sncf.com qui a intégré toute la chaîne de valeur autour du déplacement et du loisir.

Dans un monde en mutation, l’unique moyen de continuer à se développer est de capitaliser sur ses forces, ses savoir-faire et d’orienter tous les acteurs de l’entreprise vers une culture de l’innovation. L’innovation n’est pas que technologique, elle doit aussi être tournée vers de nouveaux modèles d’affaires, de nouveaux services, de nouveaux processus, de nouveaux modes d’organisation, de nouvelles postures commerciales, une réhabilitation du conseil, etc… C’est un processus que les grands industriels ont mis en place il y a longtemps pour survivre aux grandes transformations.

C’est certainement avec tout cela et d’autres choses encore à inventer que les 550 Milliards d’euros deviendront plus productifs, au triple bénéfice de l’économie réelle, des banques, et de leurs clients.

*Cerclelab – 8/11/2016 – Conférence : Quelle segmentation Smart au secours de la Gestion de Patrimoine ?