Transférer de l’argent, régler ses achats… les messageries instantanées deviennent plus que des outils de conversation en temps réel. Ces services financiers gratuits pour la plupart, rapides et simples remportent l’adhésion des utilisateurs. Une nouvelle concurrence pour les banques ?

Une innovation foisonnante en Asie et aux USA

Fin 2014, Snapchat dévoilait la signature d’un partenariat stratégique avec Square (solution de paiement par téléphone ou email) pour lancer une nouvelle fonctionnalité permettant aux utilisateurs de s’envoyer de l’argent entre amis. Avec Snapcash, l’application aux messages éphémères chercherait à renouveler son modèle économique. Disponible en Amérique du Nord (États-Unis et Canada) et au Japon, le service est rapide et simple : une fois l’émetteur et le récepteur de l’envoi inscrits sur Square avec un numéro de carte bancaire, l’émetteur envoie un message indiquant le montant du transfert précédé du signe $.

Snapchat est loin d’être le seul service de messagerie à se lancer dans le paiement. S’ils sont peu développés en France, les services de paiement via les plateformes de messagerie instantanée connaissent pourtant un succès fulgurant en Asie. Line Pay, KakaoPay et WeChat, tous trois lancés fin 2014, en sont quelques exemples.

Line Pay

Opérée par Line Corporation – filiale japonaise du géant de l’informatique sud-coréen Naver – l’application Line permet à ses 500 millions d’utilisateurs de s’affranchir de leur carte bancaire grâce au service Line Pay. Il est ainsi possible de déposer de l’argent sur son compte Line Pay, via un compte bancaire grâce à un système de rechargement automatique, ou dans un supermarché en utilisant du cash. Cet argent peut ensuite être utilisé pour effectuer des transferts entre utilisateurs ou pour régler des achats dans des magasins traditionnels en scannant un code barre.

Kakao Pay

generation zEn Corée du Sud, où le taux d’équipement en smartphone dépasse 80%, le marché est nettement dominé par l’opérateur Kakao. Près de 90% de la population équipée d’un smartphone utiliserait la messagerie Kakao Talk. Moins de deux ans après son lancement, la plateforme de paiement Kakao Pay intégrée à l’application enregistre plus de 10 millions d’utilisateurs, pour des transactions allant jusqu’à 14.000$. Elle devance largement ses concurrentes Samsung Pay et L Pay gérées respectivement par les chaebol Samsung et Lotte Group.

WeChat

En Chine, l’application WeChat aux 700 millions d’utilisateurs actifs par mois, permet en plus du transfert d’argent, de régler des achats à l’international à partir d’un compte local et dans plus de 20 devises. L’application opérée par le groupe Tencent conquiert ainsi les nombreux touristes chinois à l’étranger et gagne rapidement du terrain face à sa rivale AliPay du groupe de e-commerce Alibaba.

“WeChat started out as a messaging APP, and quickly extended its functions to include social medias and services. However, the core of WeChat business model is e-commerce: the ability of WeChat to become the electronic wallet of its users.” – Source : https://walkthechat.com/wechat-shops/

Les GAFA (Google, Amazon, Facebook, Apple) ne sont pas en reste. La gestion des paiements devient en effet «  un maillon de la chaîne de valeur dont il faut s’emparer ».

Le réseau social Facebook annonçait en mars 2015 l’arrivée d’un service de paiement par l’intermédiaire de sa messagerie instantanée. L’objectif de la firme américaine est de renforcer l’adhésion autour de son application mobile en facilitant les transactions. En attendant d’être déployée à l’international, cette fonctionnalité permet aux usagers américains d’échanger gratuitement de l’argent entre amis. Si le transfert est immédiat, la somme est disponible sous trois jours maximum selon les banques. Selon certains spécialistes, le réseau social testerait même la possibilité d’effectuer des transactions directement dans des magasins physiques. Avec un milliard d’utilisateurs actifs sur l’application mobile, la firme de Palo Alto bénéficie d’une force de frappe considérable.

Autre acteur, Apple, dont l’application Apple Pay, déjà présente aux États-Unis, au Canada, au Royaume-Uni et en Chine, est disponible en France depuis juillet. Elle permet aux clients de Ticket Restaurant, Orange Cash, Carrefour Banque et la Banque Populaire de payer via leur mobile dans plusieurs enseignes partenaires. Elle permet aussi de payer sur une application (sans avoir à renseigner son code de carte bancaire). Avec Apple Pay, la firme à la pomme opte pour un positionnement différent de celui du paiement via messagerie, lequel offre une dimension sociale et permet le transfert d’argent entre particuliers au cours d’une conversation. L’application doit encore faire ses preuves, ayant eu du mal à convaincre dans les pays où elle est déjà déployée.

En France, Pumpkin et Lydia, les réseaux sociaux de paiement

Plus anciennes que leurs concurrentes asiatiques (lancement de Lydia en 2013 et Pumpkin en 2014) les deux applications françaises ciblent particulièrement les générations Y et Z, en intégrant une dimension sociale de même que les services de messagerie. Si Pumpkin mise sur l’aspect communautaire et souhaite rendre le paiement entre particuliers plus convivial, Lydia vise également les règlements chez des professionnels, notamment les petits commerçants et les professions libérales. Les deux start-ups offrent des services fluides, simples et rapides, tout en faisant attention à la sécurité.

Quand les banques répliquent

Girl hand touching screen on modern mobile smart phone. Close-up image with shallow depth of field focus on finger.

Face à cette incursion des plateformes de messagerie instantanée et des géants d’Internet sur leurs plates-bandes, les banques traditionnelles rivalisent d’ingéniosité pour reconquérir les consommateurs. Elles misent notamment sur les réseaux sociaux et  les technologies innovantes.

S-Money, par exemple – filiale de BPCE – s’est associée à Twitter pour proposer une nouvelle solution de paiement. Destiné principalement aux échanges entre particuliers, le service permet aux utilisateurs de S-Money, clients de BPCE ou non, de transférer de l’argent grâce à un simple tweet. La banque cherche à attirer également les acteurs du financement participatif ou des dons caritatifs.

Au Japon, la banque Rakuten offre un système similaire en partenariat avec Facebook.

Autre initiative, la banque espagnole BBVA veut faciliter les transactions digitales, sans requérir à un service de messagerie. L’application BBVA Wallet permet aux clients de la banque non seulement d’effectuer des paiements sans contact dans des magasins physiques à partir de leur smartphone, mais aussi de gérer leurs cartes bancaires. BBVA Wallet, contrairement à S-Money, ne répond pas à la dimension sociale proposée par les applications de messagerie instantanée à travers le paiement peer to peer. Disponible également au Mexique, au Chili et aux États-Unis, l’application a déjà enregistré plus d’un million de téléchargements.

Une concurrence à craindre ?

Les messageries instantanées représenteraient-ils des concurrents dangereux pour les banques ? Le taux d’équipement en smartphone et tablette ne cesse de croître. Selon le Baromètre du Numérique, plus d’un Français sur deux possède un smartphone et 52% des Français sont inscrits sur un réseau social. Dans ce contexte, les plateformes de messagerie instantanée offrent une expérience de paiement optimisée en offrant mobilité, rapidité et facilité d’usage.

Il reste à savoir si les utilisateurs feront confiance à ces acteurs. Snapchat notamment a fait l’objet d’une enquête aux États-Unis relative à la confidentialité des données personnelles, suite à la diffusion fin 2014 de photos et vidéos échangées par ses utilisateurs. « Nous avons que la sécurité est essentielle lorsqu’il s’agit d’argent. » a précisé l’entreprise.

Les banques en allant sur les réseaux sociaux commencent à intégrer un côté social – encore limité – dans leur offre. S’associer à des start-ups telles que Pumpkin ou Lydia serait pousser encore plus loin dans cette direction. L’enjeu est clé pour les banques. Ne pas maîtriser le paiement, c’est perdre des données de consommation précieuses sur leurs clients, avec un impact à long terme sur la satisfaction client et les bénéfices des banques. C’est aussi perdre la main sur les rémunérations de services, notamment les commissions interbancaires de paiement, source de revenus conséquente, avec le risque d’être reléguées au simple rôle de teneur de comptes sans lien direct avec le consommateur.