Une nouvelle révolution technologique se joue dans le secteur bancaire. Assimilable à un registre transparent, infalsifiable et décentralisé, la blockchain promet de nombreux bénéfices à ses utilisateurs.

En Europe, la Commission européenne a lancé en février 2018 l’Observatoire-Forum des chaînes de blocs, qui vise à encourager les acteurs européens du secteur de la technologie financière. L’objectif de cette démarche est de renforcer les activités blockchain en soutenant les entreprises européennes et de faire de l’Europe l’un des leaders en matière de blockchain.

Les investissements autour de cette technologie sont amenés à augmenter considérablement et tous les secteurs sont voués à être touchés. Le secteur des services financiers est le premier impacté et c’est dans celui-ci que la majeure partie de ces investissements sera engagée.

En raison de sa nature – un registre décentralisé qui favorise la désintermédiation – la blockchain peut apparaître comme une menace pour les établissements bancaires en modifiant la manière dont une large partie de leurs services est exécutée.

Elle est toutefois susceptible de présenter une opportunité pour les banques en favorisant l’émergence de nouveaux usages métiers et en optimisant certains process.

Aujourd’hui, trois principales applications de la blockchain sont identifiées dans la banque et font l’objet d’initiatives menées par divers acteurs du secteur : les transferts d’actifs, la blockchain en tant que registre et les smart contracts.

Les transferts d’actifs

C’est dans le cadre des transferts d’actifs qu’est aujourd’hui principalement utilisée la blockchain dans le secteur bancaire.

Les premières initiatives menées par les établissements bancaires concernent principalement les transactions internationales. À l’heure actuelle, un virement bancaire entre deux pays nécessite de nombreux intermédiaires qui assurent le suivi de la transaction. La technologie blockchain, grâce à un registre partagé, permet de limiter le nombre de ces intermédiaires et de fluidifier la circulation de l’information. Elle permet par conséquent à ses utilisateurs de réduire leurs coûts opérationnels.

La banque espagnole Santander a en ce sens annoncé le lancement d’un nouveau service de paiements internationaux basé sur la blockchain, One Pay FX :

  • Les clients de la banque peuvent effectuer des virements internationaux le jour-même ou au plus tard à J+1
  • Le débiteur est en mesure de connaître le montant exact qui sera viré au créancier dans la monnaie de destination et ce avant même d’effectuer le virement

D’autres projets reposant sur la blockchain visent à remédier aux délais de transferts d’argent internationaux qui impliquent une opération de change.

C’est le cas de l’initiative lancée par certaines entités du groupe Crédit Agricole :

  • Ces dernières testent le service xCurrent de la société Ripple dans le cadre de l’expérimentation d’une solution permettant à ses clients français travaillant en Suisse d’effectuer un transfert de leur salaire en francs suisses vers leur compte français et ce en quelques minutes
  • Cette solution, utilisée dans le cadre d’échanges interbancaires, s’appuie sur une blockchain privée basée sur la cryptomonnaie Ripple. Cette dernière est utilisée comme monnaie de compensation (et non comme monnaie de paiement) afin de faciliter les transactions interdevises
  • Les transactions sont ainsi effectuées de manière instantanée alors qu’un délai de traitement de plusieurs jours est nécessaire avec le système traditionnel
  • Les coûts associés à ces opérations sont donc réduits et les taux de change appliqués plus transparents

D’autres établissements financiers européens expérimentent actuellement ce protocole, à l’instar de BBVA, Standard Chartered ou encore UniCredit

L’usage de la blockchain s’avère également être un levier majeur de réduction des délais dans le domaine du crédit bancaire.

A ce titre, BBVA est devenu le premier groupe bancaire à accorder un prêt à un professionnel en utilisant la blockchain :

  • L’utilisation de la technologie – depuis la négociation des conditions jusqu’à la signature – a permis de réduire la durée des négociations de plusieurs jours à seulement quelques heures
  • La banque et le client ont accès en temps réel aux informations relatives au crédit

La blockchain en tant que registre

D’autres initiatives, plus embryonnaires, visent à utiliser la blockchain à d’autres fins que le transactionnel.

L’utilisation de la blockchain en tant que registre renferme un important potentiel pour les banques puisqu’elle permet de :

  • Tracer les opérations
  • Enregistrer et sécuriser les données clients dans une logique KYC (Know Your Customer).

Ce processus, répétitif et long, oblige le client à remplir de nombreuses informations et à fournir des pièces d’identification lorsqu’il souhaite souscrire à un nouveau service, ce qui est susceptible de dégrader son expérience client.

Le Crédit Mutuel Arkéa a dans cette optique proposé une solution qui est en mesure de :

  • Consolider automatiquement les données du client (suite à son approbation)
  • Partager ces données avec l’ensemble des entités du groupe, tout en assurant leur traçabilité

L’écueil de la redondance de la demande de justification auprès du client est ainsi évité, ce qui accroît sa satisfaction et permet un réel gain de temps tant pour celui-ci que pour les collaborateurs.

BNP Paribas collabore quant à elle avec la startup Pikciochain qui propose une blockchain privée permettant :

  • D’enregistrer et de sécuriser les données clients, également dans une logique KYC
  • De partager les données récoltées – après qu’elles aient été vérifiées par la banque – auprès d’autres structures internes ou externes
  • À l’utilisateur de garder le contrôle sur le partage de ses données personnelles et de disposer d’une visibilité permanente quant à qui les détient et à quelle fin

Cette initiative permet aux établissements bancaires d’accéder aux données clients tout en évitant la contrainte de mettre en place un processus KYC lors de chaque souscription à l’un de leurs services, la blockchain permettant de fournir de manière automatique tous les justificatifs nécessaires.

Le bénéfice tiré de cette solution est également économique. La récolte, l’analyse, la vérification et le stockage des données personnelles sont des opérations extrêmement chronophages et onéreuses pour les établissements bancaires. La mise à disposition ainsi que le stockage sécurisé et à moindre coût représentent donc potentiellement des leviers majeurs d’économie pour ces acteurs.

Par ailleurs, la blockchain utilisée par BNP Paribas permet aux régulateurs financiers d’avoir facilement accès aux données de la banque, qui sont en outre traçables. Néanmoins, elle ne permet pas le droit à l’effacement prévu dans le RGPD puisque son caractère infalsifiable empêche quiconque d’effacer ou de modifier les données inscrites dans le registre.

Les smart contracts

Un smart contract est un programme autonome qui s’exécute automatiquement lorsque ses conditions (préalablement formalisées et inscrites dans la blockchain) sont remplies.

Dans le cas du secteur bancaire, les contrats traditionnels se matérialisent généralement par des documents physiques, ce qui engendre des délais de traitement rallongés et une exposition accrue aux risques d’erreurs et de fraude. Les smart contracts sont en mesure de remédier à ces obstacles en intégrant les termes du contrat entre un acheteur et un vendeur directement au sein du réseau blockchain. Celui-ci fournit une sécurité renforcée par rapport aux contrats traditionnels et permet de diminuer les coûts transactionnels et administratifs associés à la contractualisation.

Pour sécuriser et financer une transaction de commerce, le principal instrument utilisé par les entreprises est le crédit documentaire. Cet outil présente l’avantage de sécuriser les transactions du fait de l’intermédiation d’institutions financières qui permet de renforcer le rapport de confiance entre l’acheteur et le vendeur. Il s’agit toutefois d’une technique dont le traitement prend du temps et est coûteux.

Les entreprises de taille intermédiaire n’ayant pas la capacité tant technique qu’économique de recourir à cette solution, elles prennent par conséquent le risque d’effectuer leur règlement ou d’expédier leur marchandise en avance, voire d’être contraintes à renoncer à des opportunités commerciales, faute de garantie de sécurité.

C’est dans ce cadre que 9 banques d’affaires européennes (Deutsche Bank, HSBC, KBC, Natixis, Rabobank, Unicredit, Société Générale, Santander et Nordea) se sont rapprochées afin de former le consortium we.trade. Celui-ci a pour objectif de proposer une plateforme blockchain pour le commerce international et de s’appuyer sur les opportunités offertes par la technologie, notamment la transmission et la sécurisation des données

L’autre caractéristique de la blockchain qui a poussé ces banques à se tourner vers la technologie est sa capacité à mettre en place des smart contracts qui offrent la possibilité de :

  • Développer le commerce international pour les entreprises de taille intermédiaire et de réduire les risques, notamment ceux non couverts par le crédit documentaire
  • Fournir les instructions de paiement une fois que les conditions négociées au préalable entre deux acteurs sont remplies. Dans le cadre d’une transaction commerciale, le paiement de l’acheteur sera automatiquement déclenché via sa banque lorsque la marchandise aura été livrée

Dans un registre différent, la banque britannique Barclays s’est associée avec l’entreprise R3 pour développer une blockchain privée, Corda. Celle-ci a été combinée à l’utilisation de smart contracts afin d’exécuter et de trader des produits dérivés.

 

A l’heure actuelle, la plupart des projets liés à la blockchain initiés par les établissements bancaires sont dans une phase d’expérimentation. Très peu de solutions commerciales grand public ont encore été lancées. Plusieurs raisons expliquent ce phénomène.

  • Les acteurs du secteur bancaire, habitués à évoluer dans un cadre réglementaire complexe et bien défini, demeurent encore prudents face à l’essor de cette technologie et sont dans l’attente de normes techniques et réglementaires, qui leur permettraient de prendre pleinement conscience du potentiel de la blockchain.
  • D’autres nouvelles technologies plus matures que la blockchain sont considérées comme plus impactantes comme le Big Data, l’intelligence artificielle (IA) ou encore l’Internet des Objets (IoT) et font l’objet d’une plus grande considération.