L’heure du bilan a sonné. Depuis plus de 15 ans, avec l’émergence de Banque Directe puis Boursorama, BforBank ou Fortunéo, les banques en ligne se développent en France. Si La Banque Postale prépare le lancement de sa banque 100% digitale pour 2018, la plupart des acteurs bancaires traditionnels ont déjà développé leur plateforme en ligne. Aujourd’hui, 1 français sur 10 déclare posséder un compte dans une banque en ligne, et le nombre de nouveaux clients continue d’augmenter, tout comme le nombre d’acteurs sur le marché. Mais si ces chiffres semblent présenter un business florissant, la réalité est toute autre…

Des pertes cumulées de plus de 80 millions d’euros

24 millions d’euros, 17,3 millions, 21,2 millions ou 6 millions… Que ce soit pour Boursorama (groupe Société Générale), BforBank (Crédit Agricole), Groupama Banque ou Monabanq (Crédit Mutuel), les résultats de l’exercice fiscal 2016 sont sans appel. Au total, ce sont plus de 80 millions de pertes qui ont été enregistrées, et la dégringolade entre 2015 et 2016 est impressionnante (15 millions de pertes en moyenne entre 2015 et 2016).

Les banques en ligne perdent de l’argent, et ça en devient inquiétant. Confrontées à une baisse des taux qui a considérablement diminué les montants de l’épargne, mais également à un ralentissement des encours d’assurance vie, les banques digitales peinent à trouver de nouvelles sources de revenus. Presque toutes. Fortunéo, filiale du Crédit Mutuel Arkéa, fait office de contre-exemple, et a réussi l’exploit de dégager un bénéfice net en 2016 (9 millions d’euros).

Paradoxe étonnant, si l’on imaginait que ces résultats mitigés refroidiraient les ardeurs des investisseurs, le constat est tout autre. À l’instar d’Orange ou de SFR, de nouveaux acteurs se lancent sur le marché et viennent concurrencer le business model des banques en ligne, quitte à sortir de leur secteur d’activité traditionnel.

Le business model des banques en ligne menacé

Offres d’ouverture de compte alléchantes, parrainage des nouveaux inscrits, taux de rémunération de l’épargne boostés, frais de gestion offerts… Les banques en ligne rivalisent d’inventivité et d’offres avantageuses pour attirer les nouveaux clients. Ces ingrédients sont la base de leur business model d’origine : en réduisant les coûts fixes associés à la gestion des comptes grâce à la digitalisation des processus, les banques en ligne ont les moyens de proposer ces offres attractives. Objectif : attirer un maximum de clients, et rentabiliser les investissements en s’appuyant sur les revenus de l’épargne, des prêts ou contrats d’assurance.

Mais l’addition est salée et le modèle s’essouffle. La concurrence est rude, et si certaines banques adossées à de grands groupes disposent des ressources nécessaires, ce n’est pas le cas pour toutes. En outre, la situation ne risque pas de s’arranger depuis la directive européenne qui autorise les établissements non-bancaires à proposer des services bancaires de base. Preuve en est l’arrivée sur le marché de nouveaux acteurs comme Orange Bank, Carrefour (compte courant C-Zam) ou SFR, qui disposent de marques puissantes, de bases de données client déjà bien fournies, et de liquidités pour financer la phase d’investissement. Et il ne fait nul doute que les GAFA, les géants du web aux millions d’utilisateurs (Google, Apple, Facebook, Amazon…), viendront eux aussi très vite proposer sur le marché français des offres bancaires exclusivement digitales.

La qualité des services proposés par les banques en ligne est également concurrencée aujourd’hui par les fintechs, ces « start-ups de la finance » qui proposent des services très performants. Pumpkin (paiement par téléphone), SlimPay (paiement par prélèvement), « Robo-advisors », Lendix (prêts aux PME) … Leurs services simples, 100% digitaux, gratuits séduisent les clients à l’affût de solutions digitales. Certaines de ces fintechs préparent ou commercialisent déjà des solutions de paiement, et viennent concurrencer les grandes banques sur leur terrain de prédilection. Parallèlement, une nouvelle vague de concurrence se profile, avec la montée en puissance des startups Number26, Mondo ou Morning qui proposent des services bancaires exclusivement sur mobile.

Enfin, si la loi Macron (promulguée en 2015, favorisant la mobilité bancaire des clients) a eu des effets bénéfiques pour les banques digitales en facilitant l’arrivée de clients des grandes entités historiques, elle risque de leur porter préjudice en favorisant également la migration des clients sceptiques vers les nouveaux acteurs du marché bancaire.

Quelles solutions pour les banques en ligne ?

Le choix n’est pas difficile à faire, tant avoir une banque en ligne est aujourd’hui indispensable pour tout acteur du marché. Se retirer de la course, ou cesser d’investir, c’est envoyer directement ses clients à la concurrence, et rater le train de la révolution digitale. Investir, améliorer l’expérience client et devenir rentable : voilà l’équation à résoudre.

Pour atteindre les objectifs de rentabilité, certaines banques en ligne font le choix de renoncer à la gratuité des services, et proposent des comptes facturés mensuellement ; c’est notamment le cas de Boursorama, qui propose depuis le troisième trimestre 2016 une offre à 1.50€ par mois, ou ING Direct et son offre à 5€ mensuels. La diversification des services est également à l’ordre du jour : ING Direct propose depuis 2015 des crédits immobiliers, Boursorama depuis 2010. Autre point de progression identifié : les produits d’investissement, encore faiblement développés, mais au fort potentiel de rentabilité.

Profitant de leurs ressources disponibles, d’autres banques en ligne travaillent à l’acquisition de startups prometteuses. BNP Paribas s’est ainsi offert Compte-Nickel, le compte sans-banque disponible chez les buralistes, pour plus de 200 millions d’euros. Le Crédit Agricole a lui misé sur Linxo, une application de gestion de budget très prometteuse, avec pour objectif l’optimisation de l’expérience client.

Mais le salut pourrait aussi venir des avantages compétitifs dont disposent déjà les banques traditionnelles. Ainsi, pour contrer le lancement d’Orange Bank dès le 2 novembre, le Crédit Agricole va lancer en novembre son offre 100% mobile baptisée Eko (compte courant et carte internationale Mastercard pour 2€ par mois), à prix réduit, venant concurrencer les propositions 100% digitales d’Orange en offrant également les services d’un réseau d’agences très étendu et bien intégré sur le territoire national.

 

Pariant sur la remontée des taux, les banques en ligne se veulent aujourd’hui optimistes. La partie n’est pas perdue, mais le match sera serré. L’innovation, la qualité des services fournis, l’expérience client, la capacité à attirer vers les banques en ligne de nouveaux clients au portefeuille conséquent, mais aussi l’aptitude à devenir les interlocuteurs privilégiés des clients qui disposent bien souvent d’un compte dans une agence physique… Voilà les principaux enjeux auxquels les banques en ligne vont devoir répondre. Sans trop tarder.